samedi 1 juin 2019

Un peu de culture (4)


Une pionnière de la transsexualité: Christine Jorgensen


Elle est la première femme transgenre à avoir été mondialement connue. Et la première a avoir évoqué publiquement son opération de réassignation sexuelle. Née en 1926 à New York, Christine Jorgensen se sent dès le plus jeune âge prisonnière d'un corps qui n'est pas le sien.
Après son bac et son service militaire, elle s'intéresse à la réassignation sexuelle. Et entend parler des travaux d'un médecin danois, Christian Hamburger, qui a expérimenté une thérapie hormonale. "J'étais un peu nerveuse parce qu'à cette époque, il y avait beaucoup de personnes qui assuraient que j'étais folle", racontera-t-elle plus tard dans une interview.
Elle se rend au Danemark et le rencontre. Il est le premier médecin à ne pas parler d'homosexualité à son sujet mais évoque clairement sa transidentité. Longtemps, le secteur médical a eu tendance à mélanger orientation sexuelle et identité de genre. "Pour le docteur Hamburger, tout cela n'avait rien de bizarre", dira-t-elle. Il l'encourage dans sa transition de genre.
Sous son contrôle, elle entame une thérapie de substitution hormonale, une première. Puis elle est opérée. C'est un succès. L'équipe en charge de l'intervention s'est basée sur les conclusions d'un précédent en Allemagne, en 1930, mais qui avait échoué. (Lili Elbe, dont j'ai parlé précédemment dans cette rubrique).
"Il semble qu'il n'y ait pas eu de complication ni d'effets secondaires, ce qui est tout à fait formidable compte tenu du stade primitif où en était les choses à cette époque"
 
Pour Christine Jorgensen, c'est un soulagement. Elle le raconte dans une lettre à ses parents, qui la soutiennent. "La nature a commis une erreur que j'ai corrigée, et maintenant je suis votre fille." Elle choisit son prénom en hommage à son médecin. 
Lorsqu'elle retourne aux États-Unis en 1953, la jeune femme de 27 ans est une célébrité. À sa descente d'avion, elle remercie la foule de curieux et de journalistes, mais estime que tout ce battage médiatique est excessif.
Son histoire captive et fascine. Elle devient actrice, artiste de music-hall et enregistre plusieurs chansons. Elle a même son propre spectacle et chante "I Enjoy Being a Girl", (J'adore être une fille). La vaste publicité autour de sa transition lui apporte une certaine notoriété: elle fréquente Roger Moore et se fait une place à Hollywood. Elle est de tous les événements mondains et est élue Femme de l'année par la société scandinave de New York. "J'imagine qu'ils voulaient tous jeter un œil", dira-t-elle.
Mais à l'époque, la transidentité est encore taboue et Christine Jorgensen essuie de nombreuses remarques et moqueries transphobes telles que "Christine Jorgensen est allée à l'étranger, et elle en est revenue gonzesse" ("Christine Jorgensen went abroad, and came back a broad", "abroad" signifiant "à l'étranger" et "a broad" faisant référence à une femme dans un registre vulgaire). Le New York Daily News la présente comme la première bénéficiaire d'un "changement de sexe" et titre en première page "Un ex-GI devient une ravissante blonde".
Un jour qu'elle est invitée à participer à une émission de télévision, l'animateur l'interroge sur sa vie amoureuse et évoque son "épouse", elle quitte le plateau sur le champ. Il se retrouve seul pour le reste de l'émission. 
Si sa vie professionnelle est une réussite, sa vie amoureuse est moins heureuse. À l'annonce de ses fiançailles avec l'homme qu'elle aime, il perd son emploi. Alors qu'ils souhaitent se dire "oui", l'autorisation de mariage leur est refusée au motif que l'acte de naissance de Christine Jorgensen la présente toujours de sexe masculin. Le couple se sépare. "Je n'ai toujours pas trouvé le bon", balaiera-t-elle pudiquement face aux journalistes.


Christine Jorgensen se produit sur scène jusqu'en 1984 et milite pour la reconnaissance des personnes LGBTQI, se rend souvent sur des campus universitaires. Quelques années avant sa mort (cinq ans plus tard à l'âge de 62 ans d'un cancer) elle retournera au Danemark et rendra visite à l'équipe médicale qui a accompagné sa transition. Lors d'une conférence de presse, elle évoquera son expérience: 
"Nous n'avons pas commencé la révolution sexuelle mais je pense que nous lui avons donné un bon coup de pied aux fesses."


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