samedi 24 mars 2018

Bangkok, aller simple. (création originale)

La dernière histoire que j'ai écrite... Publiée il y a longtemps sur "fictionmania". J'ai commencé à en écrire d'autres, mais il me manque du temps ou de l'inspiration pour les finir. Peut-être que j'aurais les deux d'ici quelques temps...


J'attendais ce voyage avec impatience. Nous sommes dans l'avion pour la Thaïlande, avec ma petite amie Chloé, sa tante Stéphanie et sa mère Sandrine.

Je tiens la main de ma copine. Elle est moite. Je sais que Chloé est morte de peur, même si elle ne le montre pas. Oh, elle n'a pas peur de l'avion, enfin, je ne crois pas. En réalité c'est le but de notre voyage qui l'angoisse. Chloé va subir une opération de changement de sexe. Elle va devenir une véritable jeune femme. En effet, ma petite amie Chloé était autrefois mon ami d'enfance Antoine.

C'est sa mère qui a offert ce voyage à Chloé pour ses dix-huit ans, et j'ai la chance de pouvoir les accompagner.



Il y a quelques jours à peine, nous fêtions l'anniversaire de ma copine. Elle était ravie d'être enfin majeure et de pouvoir enfin envisager mener sa vie comme elle l'entendait.

Chloé ouvrait ses cadeaux et remerciait tout le monde avec un sourire éclatant. Elle n'en finissait pas d'ouvrir des paquets qui contenaient des robes, de la lingerie, des chaussures, du parfum, et tant d'autres choses dont rêvent les jeunes filles. J'étais sans doute le seul dans l'assemblée à discerner dans le regard de ma copine un profond désespoir, qu'elle cachait parfaitement bien.

Chloé éclata en sanglots quand elle ouvrit l'enveloppe que sa mère lui tendait et y découvrit un carton sur lequel était écrit: "Bon pour une opération de chirurgie de réattribution sexuelle – Hôpital de Bangkok – Thaïlande".

Toute l'assemblée applaudit, ravie de voir les larmes de joie de Chloé. Les personnes présentes savaient toutes qu'elle était une fille dans le corps d'un garçon depuis son coming-out officiel quand elle avait quinze ans.

J'étais sans doute le seul dans l'assemblée à savoir que les larmes de ma copine étaient en réalité une manifestation de désespoir. Je savais qu'Antoine n'avait en réalité jamais choisi de devenir Chloé, mais que c'était sa mère qui l'avait poussé dans cette voie.

Voyant que Chloé allait se sentir mal, je l'accompagnais dans sa chambre. Au passage, de nombreuses personnes me saluèrent et me félicitèrent. Pour elles, j'étais l'ami fidèle qui avait le premier accepté la différence de Chloé. Pour elles, j'étais un exemple de tolérance et de patience. Pour toutes ces personnes, j'étais une sorte de héros, de gendre idéal. Je savourais ce rôle, même s'il s'agissait d'un terrible mensonge.



Dans l'avion, je regarde le joli visage de Chloé qui semble apaisé. Elle vient de s'endormir. Je lui caresse les cheveux, et je me souviens comment tout a commencé…

……………..




J'ai rencontré Antoine pour la première fois à l'école primaire. Nous habitions très près l'un de l'autre. Ainsi, chaque jour, nous empruntions ensemble le chemin de l'école. Cette habitude fut sans doute à l'origine de notre amitié. Nous partagions toutes nos découvertes, tous nos jeux, tous nos rêves.

A cette époque, nous n'étions que des gamins ordinaires.



C'est à notre entrée au collège, alors que nous étions encore pré-adolescents, que je commençais à me rendre compte que mon ami Antoine était différent de mes autres amis. A cet âge ingrat où les enfants peuvent se montrer particulièrement cruels avec ceux qui sont différents, Antoine devint rapidement la tête de turc de notre classe. Dans l'innocence de l'enfance, je n'y avais pas prêté attention avant, mais mon ami n'était pas tout-à-fait comme les autres garçons. Il était le plus petit de la classe, donc une victime toute désignée pour les quolibets des imbéciles, dont, je dois l'avouer, je fis partie pendant un temps.

Antoine avait toujours eu des cheveux longs, ce que je trouvais particulièrement cool, mais sa coiffure soignée lui donnait des airs de fille. De plus, il portait le plus souvent les anciens vêtements de Manon, sa grande sœur. Ce n'étaient que des habits unisexes, des pantalons, des pulls, des tee-shirts, ou des baskets, mais le fait que sa sœur les avait portés avant lui était suffisant pour attirer les moqueries. Je soupçonne d'ailleurs Manon d'avoir contribué à faire savoir dans le collège que son petit frère portait ses vêtements.

Pendant longtemps, je participais joyeusement aux plaisanteries dont Antoine était la victime. Je ne me rendais pas compte à cette époque à quel point il en souffrait. Il n'en parlait pas, et pourtant, nous empruntions toujours ensemble, matin et soir, le chemin du collège.



Je pris la défense d'Antoine un jour où j'estimai que les choses étaient allées trop loin. Un jour, pendant une récréation, je vis un attroupement au niveau des toilettes. En m'approchant, je me rendis compte que plusieurs jeunes entouraient mon ami, dont le pantalon était baissé, et se moquaient de ses sous-vêtements. Il portait une petite culotte de fille en coton.

Mon éducation m'interdisait d'accepter que l'on puisse persécuter une personne pour ses choix personnels ou intimes. Et quoi de plus intime que des sous-vêtements? J'étais choqué par le comportement de mes camarades. C'est pourquoi je pris mon courage à deux mains et j'intervins pour faire taire les railleries et j'aidai mon ami à remonter son pantalon. Heureusement, mon intervention vigoureuse prit tout le monde par surprise et personne ne réagit. J'avais eu très peur d'avoir à me battre.

Un peu plus tard, en reparlant de cet incident avec Antoine, je lui demandai pourquoi il portait des vêtements et des sous-vêtements féminins. Je sentais bien qu'il était gêné d'aborder ce sujet. Il m'expliqua sur le ton d'une leçon apprise par cœur que ces affaires n'étaient pas féminines, mais unisexes. C'est vrai que même sa petite culotte n'était pas plus ridicule que certains modèles de slips ou caleçons informes que nous portions tous. Antoine ajouta que c'était essentiellement par soucis d'économies qu'il était obligé de réutiliser les affaires de sa sœur Manon, qui avait trois ans de plus que lui.

Cette dernière explication me sembla étrange. Je savais qu'Antoine ne vivait pas dans la pauvreté. Depuis la séparation de ses parents, il vivait avec sa mère et sa sœur chez sa tante, qui était médecin. Sa mère avait un bon emploi elle aussi, et elle touchait une belle pension alimentaire de son ex-mari. Mais, après-tout, le fait d'être aisé n'empêche pas de vouloir faire des économies.



Quelques semaines plus tard, j'allais chez Antoine pour lui rendre un livre qu'il m'avait prêté. J'avais déjà été chez lui souvent, mais c'était la première fois que j'allais le voir sans prévenir. Le livre était un "Harry Potter". Je savais qu'il possédait toute la collection, et j'avais hâte de lire la suite.

Sa mère sembla surprise en m'ouvrant la porte. En hésita quelques instants avant de m'expliquer qu'Antoine était puni. J'étais très déçu de ne pas pouvoir voir mon ami, enfin, surtout de pas pouvoir récupérer immédiatement le livre espéré. J'allais repartir quand elle me retint:

"Bon, bon, j'appelle Antoine, mais s'il te plaît, ne soit pas trop surpris. Sa punition va te sembler originale, sans doute même bizarre…"

Ella appela son fils, qui vint nous rejoindre peu après. Je serais incapable de dire lequel de nous deux fut le plus gêné de voir l'autre à cet instant. Il était habillé en petite fille! Cette fois, il ne s'agissait absolument pas de vêtements unisexes. Il portait une robe rose ornée de petits rubans, un nœud dans les cheveux, des collants fins blancs et des ballerines roses. Sous le choc d'être vu dans cette tenue, il se mit à pleurer:

"Maman! Tu avais promis! C'était un secret!"

"Allons, mon chéri, c'est ton meilleur ami, tu ne cesses de le répéter. Si tu ne partages pas tes secrets avec tes meilleurs amis, alors avec qui?"

J'étais effaré de voir mon ami dans cette tenue. J'avais l'impression de voir une autre personne. Devant mes yeux, il n'y avait plus mon copain Antoine, mais une adorable petite fille. Sous le coup de la surprise, j'étais incapable de parler. Sa mère se tourna vers moi:

"D'ailleurs, ton ami va nous promettre de garder le secret. N'est-ce-pas?"

Elle me parlait avec un grand sourire, mais le ton qu'elle employait était très autoritaire. Je bredouillais:

"Oui, oui, je vais garder le secret, promis!"



Encore chamboulé, je rentrais chez moi avec le livre espéré, mais je fus incapable de commencer à le lire. Je ne me remettais pas de la vision de mon ami habillé en fille. J'y pensais durant toute la journée. Le soir, pendant le repas, je ne touchais pas mon assiette. Ma mère, inquiète, me demanda si j'étais malade. Comme je maugréais sans répondre clairement, elle insista longuement pour savoir ce qui me préoccupait. Je quittai la table en criant:

"Fiche-moi la paix! Je ne peux pas le dire. J'ai promis de garder le secret!"

Evidemment, maman savait que j'avais été chez Antoine plus tôt dans la journée. Elle ne mit pas longtemps pour comprendre d'où venait mon trouble, et elle appela Sandrine, la mère de mon ami. Elle resta au téléphone pendant plus d'une heure avant de venir me rejoindre dans ma chambre:

"J'ai parlé avec la mère d'Antoine. Elle m'a expliqué qu'elle utilise une vieille méthode d'éducation qui a fait ses preuves. En anglais, on appelle ça 'petticoat punishment'… La punition par le jupon."

"Ouais, c'est quoi cette punition? C'est dingue!"

"Non, ce n'est pas dingue! Dans le temps, dans les bonnes familles, les garçons étaient habillés en robe pendant une grande partie de leur enfance. A cette époque, c'était normal."

"Ouais… Mais on n'est au vingt-et-unième siècle!"

Maman prit un ton plus sévère:

"Ce n'est pas parce que quelque chose est ancien que ce n'est plus valable! Tu n'as pas à juger les méthodes d'éducation des parents de tes amis. Moi, j'ai plutôt l'impression que cette méthode est efficace. Je me demande d'ailleurs si je ne devrais pas l'utiliser avec toi!"

Je n'osais plus rien dire. J'étais scandalisé que l'on puisse humilier ainsi un garçon. Mais j'étais soudain effrayé par ce que ma mère venait de dire. Moi? Habillé en fille? Jamais!

Ma mère me fit promettre une nouvelle fois de garder le secret de mon ami.

J'allais tenir ma promesse. De plus, dans les semaines qui suivirent, je me comportais comme un garçon modèle. J'étais bien trop effrayé que ma mère ne s'inspire des méthodes d'éducation de Sandrine pour me les appliquer à moi!



Antoine et moi faisions toujours le chemin du collège ensemble chaque matin. Pourtant, pendant plusieurs jours, nous marchions en silence. Antoine semblait attendre de savoir s'il pouvait vraiment avoir confiance en moi. De mon côté, j'étais trop gêné moi aussi pour engager une conversation normale.

Heureusement, au bout d'un certain temps, nous recommencions à nous détendre et à retrouver nos anciennes habitudes.

Les semaines et les mois suivants se déroulèrent sans incident notable. Parfois, le week-end, quand j'allais voir Antoine, pour faire nos devoirs ensemble, ou pour jouer, il m'accueillait habillé en fille. Progressivement, je m'y habituais, et Antoine également. Pourtant, je m'étonnais de le savoir puni aussi souvent. C'était un si gentil garçon!



Le temps passait. Nous grandissions. Nos centres d'intérêts changeaient…
Une chose ne changeait pas. Nos camarades de classe restaient particulièrement odieux avec Antoine. La plupart des élèves l'appelaient derrière son dos "la tapette". Il faut dire que le pauvre ne pouvait rien faire pour faire taire les quolibets. Sa mère lui imposait des tenues et des accessoires qui le faisaient sembler de plus en plus efféminé. En hiver, il portait des collants sous ses pantalons, ce qui n'échappait pas aux yeux des plus observateurs. D'autant plus qu'avec le temps, les couleurs des collants devenaient de plus en plus voyantes. Elles évoluèrent d'un discret noir ou bleu marine vers du rouge, du blanc, voire même du rose.

Pour ses treize ans, Antoine reçut une paire de boucles d'oreilles. Bien sûr, d'autres garçons portent comme lui des mini-créoles, mais le reste de leur apparence est en général bien virile.

Les filles de notre classe ne tardèrent pas à remarquer d'autres détails qui avaient échappé aux garçons. Les sourcils d'Antoine étaient progressivement épilés en une arche de plus en plus fine. De plus, ses ongles étaient soignés et vernis. C'était un verni transparent que je n'avais pas remarqué, mais qui n'avait pas échappé aux filles.

Heureusement pour mon ami, suite à ces dernières évolutions, plusieurs filles de la classe se rapprochèrent de lui. Grâce à elles, il se sentait moins seul, mais je restais son seul ami, ou plus exactement le seul garçon parmi ses amis.



Un samedi matin, en rentrant du collège, je proposais à Antoine d'aller au cinéma l'après-midi pour voir le dernier film d'action à la mode. Nous passions souvent ainsi nos samedis ensemble, mais ce jour-là, les choses allaient être différentes. Comme toujours, je suivis Antoine chez lui pour demander l'autorisation de sortie à sa mère. Celle-ci me proposa de les rejoindre dans un salon de thé vers seize heures. Elle m'expliqua qu'Antoine avait rendez-vous chez le coiffeur en début d'après-midi. Je n'y voyais aucun inconvénient, et j'acceptai joyeusement.

Plus tard, dans l'après-midi, en entrant dans le salon de thé, je n'en crus pas mes yeux. Je parvins difficilement à reconnaitre Antoine, et uniquement parce qu'il était avec sa mère.

Ses cheveux enjolivés de quelques mèches décolorées étaient ramenés derrière ses oreilles d'où pendaient de longues boucles d'oreilles. Ses yeux verts étaient magnifiques, mis en valeur par un savant maquillage. Ses lèvres brillaient d'un rose nacré, de la même couleur que ses ongles. C'était la première fois que je voyais mon ami porter du maquillage. De plus, il portait une élégante robe d'adolescente de couleur émeraude et des ballerines vernies de la même couleur. Ses jolies jambes épilées étaient mises en valeur par un collant fin très clair.

J'avais déjà vu plusieurs fois mon ami habillé en petite fille, mais là, c'était différent. Il ressemblait à une adolescente. Il, je devrais dire elle, était magnifique, et même excitante. La mère d'Antoine me fit assoir et m'annonça à voix basse:

"Quand nous sommes ainsi en public, il vaut mieux ne pas l'appeler Antoine. Tu comprends, n'est-ce-pas?"

"Euh, oui, bien sûr!"

"Parfait, je te présente Chloé. C'est le prénom que je lui aurait donné à sa naissance si elle avait été une fille."

Elle nous offrit ensuite un chocolat chaud et une part de gâteau avant de nous laisser seuls, nous recommandant "d'être sages".



C'était la première fois que j'étais en public avec mon ami habillé en fille. Il avait l'air terrorisé. Je posais ma main sur la sienne, en essayant de le rassurer, tout en me rendant aussitôt compte en rougissant que je n'aurais jamais fait un tel geste s'il avait été en garçon.

Il se leva, emportant son petit sac à main assorti à ses chaussures:

"Allons-y, je crois que je me sentirais mieux au cinéma, dans le noir…"

Peu après, alors que nous marchions vers le cinéma, j'admirais comment mon ami se déplaçait, faisant bouger les volants de sa petite robe de manière très féminine. J'avais beau chercher, je ne trouvais aucun indice qui pouvait laisser supposer qu'il était un garçon.

J'aurais voulu lui poser des milliers de questions sur ce qu'il ressentait, sur les raisons qui pouvaient pousser sa mère à le traiter de cette manière, mais je n'osais pas. En approchant du cinéma, Antoine, ou plutôt Chloé me prit brusquement par la main et nous fit faire un détour par une ruelle. Elle avait vu un groupe de jeunes de notre collège, et elle était terrorisée à l'idée d'être reconnue. J'avoue que j'étais de son avis. J'avais moi aussi peur d'être vu dans ces circonstances.

Chloé ne me lâcha plus la main avant d'entrer au cinéma. J'étais partagé entre le sentiment de fierté d'avoir à mes côtés une aussi jolie fille, et une profonde gêne de voir ainsi mon meilleur ami.

A la fin du film, qui m'avait fait oublier pendant un moment ma gêne, je pris Chloé par la main et la raccompagnais chez elle, en faisant plusieurs détours pour éviter de rencontrer des personnes qui nous connaissaient. Nous étions tous deux soulagés en entrant chez elle. Sa mère nous accueillit:

"Bonsoir, mes enfants. Vous avez passé un bon après-midi?"

"Oui, merci."

"Bien Chloé, tu vas remercier ton ami!"

Chloé se tourna vers moi, et les yeux baissés, me dit un timide "merci". Sa mère insista:

"Allons, tu peux faire mieux que cela, Qu'est-ce que je t'ai appris?"

Ainsi, Chloé se pencha vers moi et m'embrassa sur la joue.

Le lundi suivant, je retrouvais mon ami Antoine pour aller en cours. Ses longs cheveux étaient coiffés en queue de cheval, et il était habillé en garçon. Il ne portait plus de trace de maquillage, et seuls de discrets boutons dorés ornaient ses oreilles. Aucun d'entre nous n'osa parler de ce que nous avions vécu.



Les mois suivants, je continuais à voir Antoine tous les jours, mais je m'éloignais quelque peu de lui pour m'intéresser aux filles de notre collège. J'étais très attiré par une petite brune nommée Lucille, avec qui je pratiquais un flirt très poussé. Elle devint ma première petite amie, alors que nous venions tous les deux d'avoir quatorze ans.

De son côté, Antoine ne restait pas seul. Il avait été "adopté" par un petit groupe de filles. Parmi elles, il y avait surtout une rouquine nommée Léa, qui lui tenait la main, lui faisait régulièrement des bises… Et, après quelques semaines, je vis pour la première fois Antoine et Léa s'embrasser sur la bouche. J'étais content pour mon ami. Il montrait à tout le monde qu'il n'était pas une "tapette", comme ils disaient.



Au collège, Antoine se comportait toujours en garçon, surtout quand il était avec sa petite amie Léa. Pourtant, son apparence était de plus en plus androgyne. Ses vêtements étaient de moins en moins unisexes. Des corsaires moulants ou des leggings prenaient la place de ses pantalons. Ses pulls et ses tee-shirts étaient de plus en plus colorés.

Progressivement, Antoine abandonna définitivement les vêtements de garçon. Ses chemises étaient remplacées par des chemisiers féminins. Il faut être attentif pour remarquer que le sens de boutonnage n'est pas le même sur une chemise "unisexe", mais là, il n'y avait aucun doute. Les cols ronds, les petits nœuds, les rubans ou les broderies sur les chemisiers étaient des caractéristiques incontestablement féminines.

Au printemps, les chemisiers de plus en plus fins laissaient deviner qu'Antoine portait des caracos bordés de dentelles en dessous.

Les chaussures d'Antoine étaient elles aussi de plus en plus féminines. Il abandonna les baskets pour des derbies blanches, ou parfois des bottines à petits talons.



Les personnes qu'Antoine croisait l'appelaient de plus en plus souvent "mademoiselle".

Tout cela ne semblait pas déranger Léa. Au contraire!

Un jour où le hasard me permit de parler avec elle en tête à tête, notre conversation se concentra évidemment sur notre ami commun. Pour Léa, Antoine était un adorable garçon efféminé. Rien dans ce qu'elle me dit ne me laissait supposer qu'elle savait qu'il était forcé par sa mère de s'habiller en fille. Je déduisis même de ce que Léa me disait n'avait jamais vu son petit ami en jupe ou en robe.

Mise à part sa famille, j'étais toujours le seul à connaitre son secret. Pendant quelques temps, je crus que mon ami avait changé, que ses goûts avaient évolué, que c'était désormais son choix de porter des vêtements féminins. Pourtant, ce n'était pas le cas. Il me le confirma un dimanche où j'étais chez lui, et où une fois de plus, il était en Chloé, avec une jolie robe, une coiffure sophistiquée, et du maquillage.

Pour tout le monde, Antoine était un garçon efféminé qui cultivait volontairement un look androgyne.



Les mois passaient, bientôt, nous allions quitter le collège pour le lycée. Tout allait bien entre ma petite amie Lucille et moi, même si parfois, elle se montrait jalouse du temps que je passais avec Antoine. C'est vrai qu'avec l'approche du brevet, je passais souvent une partie de mes week-ends avec lui pour réviser ensemble.

Un dimanche, j'étais avec mon ami pour reprendre nos cours de math. Il, ou plutôt elle, portait une tenue de collégienne, avec la petite jupe plissée, le chemisier fermé au col par un ruban, la veste blazer, les chaussettes qui montaient au-dessus des genoux, et les petites ballerines noires. Ses cheveux étaient élégamment attachés, mais elle ne portait pas de maquillage.

Une fois de plus, après avoir tourné la tête pour vérifier que nous étions seuls, Antoine-Chloé me dit:

"Tu as de la chance. Personne ne t'oblige à être ce que tu n'es pas. Tu peux rester un garçon… Un homme!"

Je lui mis ma main sur l'épaule:

"Bas! Il ne faut pas t'en faire. Tout cela s'arrêtera un jour. Et puis, tu as une petite amie, ça va bien avec Léa, non?"

"Oui, heureusement qu'elle est là… Mais au fond, je crois qu'elle aime bien elle aussi mon côté fille. Je crois que si je pouvais me comporter en vrai mec, elle me quitterait… Il n'y a que toi qui sait à quel point c'est dur pour moi."

"Patience! Nous attendons tous le moment où nous serons adultes et où nous ferons ce que nous voudrons! Tu sais, ma vie n'est pas non plus rose tous les jours!"

Mon ami me regardait en silence, comme s'il espérait que je lui donne une solution miracle pour son problème:

"Et puis bientôt, avec l'âge, tu vas devenir plus masculin, ta voix va devenir plus grave… Ce serait ridicule de te forcer à t'habiller en robe quand tu commenceras à avoir de la barbe. Même ta mère sera bien obligée de reconnaitre que tu es un garçon!"

Des larmes commençaient à couler sur les joues de mon ami:

"Non, ça n'arrivera pas…"

"Et pourquoi pas? Tu as l'âge… Bon c'est vrai que la puberté commence plus ou moins tard selon les individus, mais ça finira par t'arriver, comme pour moi, ou pour tous les copains!"

"Non, ça n'arrivera pas… Ma tante me fait prendre des médicaments pour ça!"

Sous le choc d'une révélation aussi incroyable, je ne dis plus rien. Je pris mon ami dans mes bras, et il pleura sur mon épaule.



Je n'arrivais pas à croire que sa mère et sa tante pouvaient infliger un tel traitement à Antoine. Je ne parvenais pas à concevoir une telle chose. Je ne savais même pas que de tels médicaments pouvaient exister. Un moment, je doutais même de la santé mentale de mon ami.

Plus tard, je fis des recherches sur internet pour découvrir que de tels traitements hormonaux existent vraiment. Dans la semaine, j'allais voir Stéphanie, la tante d'Antoine, et accessoirement mon médecin traitant. Prétextant une consultation ordinaire, je lui demandais des explications sur le traitement qu'elle donnait à mon ami. D'abord déstabilisée, elle me répondit sèchement que c'était elle, le médecin, et qu'elle savait ce qu'elle faisait. Puis elle se reprit, et commença à me donner des explications. Petit à petit, avec une démonstration étayée de termes médicaux auxquels je ne comprenais pas grand-chose, elle m'expliqua qu'Antoine avait besoin de ce traitement. Stéphanie m'expliqua que c'était un traitement expérimental venu des Etats-Unis, où de nombreux garçons trop agressifs avaient été calmés grâce à ces médicaments. J'osais timidement répliquer:

"Mais Antoine n'est pas agressif du tout!"

"C'est bien la preuve que le traitement fonctionne!"

Elle ajouta pour me rassurer que ce traitement pouvait être arrêté à tout moment sans laisser de séquelles.

Complètement chamboulé par les explications, qui me semblaient pourtant extravagantes, de Stéphanie, je rentrais chez moi. J'étais incapable d'avoir une opinion claire sur tout cela.

Arrivé chez moi, ma mère me gronda sévèrement. Elle venait de recevoir un coup de téléphone de Stéphanie. En criant, elle me dit de ne pas me mêler des affaires des autres. Si un médecin, de plus membre de sa famille, donnait des médicaments à Antoine, c'était forcément pour son bien.

Le lendemain, Antoine, qui semblait bouleversé, me demanda lui aussi de "m'occuper de mes affaires". Je compris à demi-mot qu'il avait été sévèrement puni après mon intervention chez sa tante. En pleurant, il me demanda de le laisser tranquille, de ne plus chercher à le revoir. Atterré, je promis ce qu'il me demandait.



La fin de l'année scolaire fut lugubre. Je m'efforçais de respecter la volonté de mon ami, et, quand je le croisais, je changeais de direction. Heureusement, il ne restait que quelques jours à passer au collège. Je passais avec succès le brevet.

Ensuite, je m'efforçais de savourer mes vacances d'été avec ma petite amie Lucille. Pourtant, celle-ci n'était pas dupe. Elle voyait bien que je pensais souvent à Antoine, ce qui l'irritait particulièrement.



Enfin, ce fut la rentrée. J'entrais au lycée, bien décidé à me construire un bel avenir.

Pendant une pause, je reconnus parmi un groupe de filles Léa, la petite amie d'Antoine. Je m'approchais d'elle et la saluais. Elle semblait ravie de me voir et me fit la bise, puis, désignant la fille à sa droite, elle me demanda:

"Tu connais Chloé?"

Je n'en crus pas mes yeux en découvrant cette magnifique blonde aux yeux verts. C'était mon ami Antoine! Léa prit Chloé par le bras, comme pour l'empêcher de prendre la fuite, et me raconta à voix basse:

"Chloé a fait son coming-out l'été dernier. Elle vit en fille désormais! L'administration du lycée a accepté de l'inscrire comme une vraie fille!"

Bouche-bée, je regardais Chloé de la tête aux pieds. Ses cheveux blonds décolorés tombaient en boucles sur ses épaules, son visage était délicatement maquillé. Comme une élève modèle, elle portait un chemisier strict, avec un jabot en dentelles, et une petite jupe noire qui lui arrivait à mi-cuisses. Ses jambes gainées de collants fins semblaient interminables, allongées par des escarpins noirs à talons hauts. Elle portait une pile de livres contre sa poitrine, dans une posture typiquement féminine. Elle baissait les yeux.

Je la saluais, assez froidement:

"Bonjour Chloé, comment vas-tu?"

"Je vais bien, merci."

Je croisai un bref instant son regard, et j'y lus une profonde tristesse. Affligé, et me souvenant de ma promesse, je m'éloignais:

"Bon, j'ai été content de vous revoir… Il faut que j'y aille. Salut!"



Les jours suivants, j'essayais de me concentrer sur mes cours, mais j'en étais incapable. Je ne cessais de penser à Antoine, ou peut-être à Chloé?

Ma copine Lucille, qui sentait bien que j'étais renfrogné, insista pour que je lui parle de mes soucis. Quand je lui racontai ma rencontre avec Chloé, elle me fit une crise de jalousie:

"Encore? Ma parole, tu es amoureux! Tu en était déjà amoureux quand il se faisait appeler Antoine!"

En entendant de telles inepties, je me mis en colère. Ce fut ma dispute la plus violente avec Lucille. Comment pouvait-elle penser de telles choses? Comment pouvais-je être amoureux de mon copain d'enfance? C'était n'importe quoi!

C'était n'importe quoi… Mais alors, pourquoi je ne cessais pas de penser à Chloé?



Quelques jours plus tard, je profitais d'une rencontre fortuite avec Léa pour lui parler de Chloé:

"Tu as dit l'autre jour que tu as assisté au coming-out de Chloé. Tu peux me le raconter?"

"Oh oui, c'était une sacrée fête! Au début de l'été, soi-disant pour célébrer notre brevet, j'étais invitée chez Antoine avec les autres filles de notre petite bande. Sa mère nous a accueilli, et nous a fait assoir au salon. Elle disait que nous allions avoir une surprise. C'est alors qu'Antoine est entré avec sa sœur qui le tenait par la main. Il était habillé en fille, avec une jolie robe d'été fleurie et des sandales à talons. Il était maquillé, ses ongles étaient vernis, il portait des bijoux… Sa mère dit qu'Antoine avait quelque chose à nous annoncer."

"Et Antoine a dit qu'il voulait devenir une fille?"

"Oui! Enfin non! Le pauvre, il était tellement intimidé qu'il était incapable de dire un mot. C'est sa sœur, Manon, qui nous a annoncé la nouvelle, et qui nous a dit qu'on devait l'appeler Chloé!"

"Et tu n'as pas été surprise? Tu étais la petite amie d'Antoine!"

"Oui, j'étais sa petite amie… Enfin, on ne faisait que flirter. Deux ou trois fois, j'ai bien essayé de faire l'amour avec lui, mais il a en été incapable. C'était évident qu'il n'aimait pas les filles. Du coup, on a rompu, mais on est resté bonnes amies!"

J'avais envie de dire que l'impuissance d'Antoine était certainement provoquée par le traitement qu'il était forcé de prendre par sa mère et sa tante. J'avais même envie de le hurler, mais je me taisais. Léa continua à me parler de Chloé:

"Tu sais, sa tante est médecin. Grâce à elle, Chloé peut bénéficier d'un traitement hormonal. C'est compliqué d'y avoir droit. Encore plus quand on est mineur. On ne le voit pas encore, mais Chloé commence à avoir des seins. J'étais avec elle et sa mère quand elle a essayé son premier soutien-gorge. Elle était toute émue, elle en pleurait, ça faisait chaud au cœur de la voir si heureuse!"

J'étais désolé de voir à quel point Léa était enthousiaste en parlant de Chloé. Elle croyait sincèrement à son bonheur. Je me contentais de répondre, d'un air désabusé:

"Alors tout va bien, si Chloé est heureuse…"

"Bon, pour être sincère, elle n'est pas totalement heureuse."

"Ah?"

"Oui, tu lui manques. Elle parle tout le temps de toi!"

Bouleversé par cette dernière information, je remerciais Léa et m'éloignais, la laissant seule.



Les semaines suivantes, j'évitais de croiser Chloé.

D'un côté, je me sentais minable et impuissant de ne pas avoir pu l'aider à changer son destin. Parfois, dans mes délires solitaires, je me voyais l'emporter loin de la folie de sa famille sur mon destrier blanc. En revenant à la réalité, j'étais d'autant plus frustré de n'être qu'un adolescent que personne ne prenait au sérieux. J'étais certain que, même si je dénonçais sa mère pour maltraitance, personne ne m'écouterait. Sans doute, Chloé elle-même m'en voudrait, parce que je ferais ainsi du mal à toute sa famille.

En même temps, je revoyais Chloé en songe. Elle était devenue si belle. Ma copine Lucille avait-elle raison? Etais-je tombé amoureux? Si je souhaitais délivrer Chloé de l'influence néfaste de sa famille, n'était-ce pas pour la garder pour moi seul?

En m'égarant dans ces pensées, j'avais la sensation d'être devenu aussi monstrueux que sa mère!

Toutes ces idées en conflit me torturaient l'esprit. Lucille se rendait compte que je n'allais pas bien, mais quand elle essayait de me parler, cela se terminait invariablement en dispute.



Ce n'est que plusieurs mois plus tard que les choses changèrent brusquement. Il y avait une grande fête au lycée peu avant les vacances de Noël. Presque tous les lycéens étaient présents, y compris Chloé, dans une somptueuse robe rouge bordée de fourrure blanche. Je l'observais discrètement d'un coin de la salle, où avec quelques copains, nous buvions de l'alcool rapporté en cachette.

Une fois de plus je me disputais avec Lucille, qui voulait danser tandis que je noyais ma mauvaise humeur dans l'alcool. Fâchée, elle me laissa seul dans mon coin, ce qui me convenait parfaitement. Je ne perdais pas des yeux Chloé, dont la robe décolletée ne cachait rien de ses formes. Elle avait désormais de magnifiques petits seins, et la manière dont elle bougeait ses fesses au rythme de la musique m'émoustillait au plus haut point.

J'hésitais longuement à aller lui parler. Finalement, je renonçais, j'avalais un dernier verre et décidais de quitter la fête. Au moment de sortir, je jetais un dernier regard vers Chloé, et je la vis aux prises avec deux garçons qui l'entrainaient de force vers les toilettes. Dans la foule, personne ne semblait avoir remarqué cette agression.

Soudain dessaoulé par une poussée d'adrénaline, je courais vers les toilettes, bousculant de nombreuses personnes sur mon passage. Arrivé dans les couloirs sombres des sanitaires, je restai un instant désorienté, avant d'entendre la voix de Chloé dans les toilettes des hommes. Je me précipitai à l'intérieur pour découvrir une scène terrible. Chloé était maintenue à genoux par les deux types, sa robe était en partie déchirée, faisant apparaitre sa poitrine. L'un des garçons dégrafait son pantalon en disant:

"Alors c'est vrai? Tu es un travelo? Il parait qu'il n'y a rien de meilleur qu'une pipe de travelo. Suce-moi salope!"

Les deux gars étaient plus âgés et plus grands que moi. Pourtant, je me jetai sur eux en hurlant. J'envoyai un violent coup de poing à celui qui avait baissé son pantalon, ce qui me fit horriblement mal à la main, mais qui ne sembla pas l'affecter beaucoup. Je ne me souviens pas de la suite…



Je me réveillai à l'hôpital. Les deux types m'avaient littéralement cassé la figure. J'allais apprendre plus tard qu'ils avaient pris la fuite en me voyant à terre, sans connaissance. A mon réveil, je sentais que quelqu'un me caressait la main. C'était Chloé!

Malgré mon visage tuméfié, je parvins à lui demander comment elle allait:

"Bien, je vais bien. Ils n'ont pas eu le temps de me faire de mal… Grâce à toi!"

Avec mes yeux qui s'habituaient progressivement à la lumière, je découvris que Lucille était là elle aussi, ainsi que mes parents, et la mère de Chloé.

Lucille s'approcha, elle échangea un long regard avec Chloé, puis m'embrassa:

"Je crois qu'il vaut mieux que je vous laisse. Chloé et toi avez beaucoup de choses à vous dire..."

Elle se redressa, et quitta la pièce. Elle venait de rompre avec moi.

Sandrine se pencha à mon oreille:

"Merci d'avoir sauvé ma fille! Tu seras toujours le bienvenu à la maison!"

Elle quitta la chambre à son tour, en entrainant mes parents, dans les yeux desquels je lisais de la fierté. Je restais seul avec Chloé. Elle restait là, sans un mot, à me caresser ma main abîmée. Elle resta à mes côtés jusqu'à l'heure de fermeture, et revint dès le lendemain matin dès l'ouverture, et ainsi chaque jour jusqu'à ma sortie de l'hôpital. Nous ne nous parlions pratiquement pas, nous ne faisions qu'échanger des regards.

Ce n'est que le troisième jour que je parvins à lui demander:

"Chloé, tu es heureuse?"

"Oui, je suis contente que tu ailles mieux."

"Non, ce n'est pas ce que je voulais dire… Tu sais?"

"Oh oui, je comprends. C'est difficile d'en parler… Disons que je m'y suis fait. Tout le monde me voit comme une fille, alors autant en être une pour de bon…"

"Alors c'est vraiment ce que tu veux?"

"Non, mais pour l'instant, je n'ai pas vraiment le choix. Je me suis résignée à suivre ton conseil."

"Quel conseil?"

"Il y a quelques mois, tu m'as dit que je devais avoir de la patience. Je vais attendre d'avoir dix-huit ans, et je trouverais bien à ce moment-là un moyen… De changer de vie!"

"J'espère que je pourrais t'aider…"

"Merci, tu en as déjà tellement fait pour moi, bien plus que tu ne l'imagines! Tu veux bien qu'on soit amis de nouveau?"

"Il n'y a rien que je désire plus… Tu verras, Chloé, euh, Antoine…"

"Chloé! Ce sera moins compliqué."

"Oui, pardon, Chloé. Tu verras, plus rien ne pourra nous séparer, maintenant!"



Je sortais de l'hôpital pour Noël, que je fêtais en famille. Pour nouvel an, j'étais invité dans la famille de Chloé. J'avais mis mon plus beau costume, que je n'avais porté qu'une fois avant, avec une cravate. La mère de Chloé m'accueillit:

"On n'attendait plus que toi!"

Je fus surpris de découvrir que j'étais le seul garçon. Léa et sa bande de copines était présentes elles aussi. Alors que je saluais tout le monde, Chloé sortit de la cuisine avec un plateau, qu'elle posa sur la table avant de se tourner vers moi. Elle était éblouissante. A chacun de ses gestes, sa petite robe d'un blanc immaculé se soulevait avec légèreté. Elle se déplaçait avec grâce sur une paire d'escarpins blancs à talons démesurément hauts.

Elle s'approcha, hésita un bref instant, puis me fit la bise.

En la regardant, je ne reconnaissais plus mon vieil ami Antoine. Il semblait avoir définitivement disparu. La soirée fut agréable, même si je ne me sentais pas toujours très à l'aise avec tant de filles et de femmes autour de moi.

Au moment des vœux, je fis la bise à tout le monde, mais en me retrouvant face à Chloé, je restai paralysé. Léa et ses copines nous encouragèrent joyeusement à nous embrasser. Chloé se pencha et me fit la bise, mais Léa et ses copines chantaient:

"Un baiser, un baiser, un baiser!"

Finalement, après une nouvelle hésitation, Chloé me fit un petit sourire, puis se pencha vers moi, la bouche en avant. Timidement, je posai un rapide et chaste baiser sur sa bouche, déclenchant les applaudissements de tout le monde.

La fin de la soirée fut heureusement plus calme.



Pendant les mois suivants, Chloé et moi retrouvions notre vieille complicité. Nous passions tous nos moments de liberté ensemble. Malgré le froid, elle portait uniquement des jupes ou des robes. Elle m'expliqua qu'après son "coming-out", sa mère avait jeté tous ses pantalons ou ses affaires unisexes.

Même quand elle n'était pas maquillée, ce qui était rare, elle était magnifique. Quand je la regardais, je ne voyais plus qu'une jeune femme que je désirais. Pourtant, je n'arrivais pas à lui dire, sans doute parce que je me souvenais qu'elle avait été mon copain Antoine. Souvent, nous nous tenions par la main, nous nous faisions la bise pour nous saluer… Rien de plus!

Je restais ainsi pendant des mois sans copine. Parfois, quand je rencontrais une fille qui pouvait me plaire, je renonçais à tenter ma chance avec elle, sans doute parce qu'inconsciemment, je la trouvais moins attirante que Chloé.

Parfois, le soir, je me masturbais dans le secret de ma chambre. A chaque fois, après avoir joui, je ressentais de la honte. J'avais honte de ne pas avoir d'autre moyen pour atteindre le plaisir, mais surtout, j'avais honte de ne pas pouvoir m'empêcher de penser à Chloé quand je me masturbais.



Ce n'est pas ce que je pus voir le jour des seize ans de Chloé qui allait calmer mes fantasmes. Ce jour-là, j'étais invité chez Léa, qui avait organisé la fête d'anniversaire. Une fois de plus, j'étais le seul garçon présent. Mon statut de lycéen ne me permettait pas de faire des folies. J'offris donc à Chloé une simple boîte de chocolats.

Quand je vis les autres cadeaux que reçut mon amie, je me sentis insignifiant avec mes chocolats.

Les filles s'étaient cotisées pour offrir à Chloé un somptueux ensemble de lingerie. Elles insistèrent pour qu'elle l'essaye tout de suite. D'abord gênée, Chloé se retira un instant dans la salle de bain avec Léa. Quand elle revint, elle portait une guêpière en dentelle de couleur crème, avec la petite culotte assortie, et une paire de bas couleur chair, fixés à deux paires de jarretelles. La guêpière affinait sa silhouette et remontait ses seins. Je pus même distinguer un téton, qui dépassait un peu de la dentelle. La petite culotte, bien serrée, cachait à la perfection son véritable sexe. Les filles firent marcher Chloé sur ses talons aiguille comme un mannequin, et la firent tourner sur elle-même plusieurs fois. Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau et excitant, sauf dans quelques revues spécialisées. Face à moi se tenait une image de l'idéal féminin!

Pendant tout ce temps, j'avais la sensation que, malgré son sourire de façade, Chloé était très gênée de se montrer ainsi en petite tenue, surtout devant un garçon… Surtout devant moi.

De mon côté, j'évitais soigneusement de croiser le regard de Chloé, de peur qu'elle n'y lise le désir intense que je ressentais à ce moment. Je n'osais plus bouger, de peur que tout le monde voie l'érection qui déformait mon pantalon.



Plus tard, après la fête, je raccompagnais Chloé chez elle. Heureusement, mon excitation était retombée. J'aurais été très mal à l'aise si Chloé s'en était rendu compte.

Sur le chemin, je demandais à mon amie comment elle se sentait. Après un silence, pendant lequel elle semblait chercher ses mots, elle me confia avec une lucidité surprenante:

"C'est dingue, il n'y a que toi à qui je peux parler de ça. Léa et les autres me voient uniquement comme le pauvre garçon qui se sent fille, qui a choisi d'assumer pleinement sa féminité, au point de se comporter comme une caricature de nana. Elles sont si gentilles avec moi, elles disent qu'elles admirent mon courage, que je suis un modèle pour elles. Je ne sais pas si tu as remarqué, elles copient mon look, ma manière de m'habiller, ou de me coiffer… Mais même si elles se trompent sur moi, sur mes sentiments ou mes désirs les plus profonds, elles sont mes amies. Dans ma situation, je ne peux pas rêver avoir de meilleures amies… Leur enthousiasme est quand même plus agréable que l'intolérance, les insultes, ou même la violence que je subis parfois."

J'écoutais en silence, mais quand elle parla de violence, je laissai échapper un soupir, me souvenant de mon passage à l'hôpital. Elle continua:

"Je réfléchis à tout ça depuis des mois. Ma mère aussi, à sa manière, m'aime. Elle ne veut que mon bien. Elle est persuadée que ma vie serait plus simple, ou plus belle, si j'étais une fille. Du coup, elle pense me rendre service en  m'obligeant à vivre en fille, et elle est soutenue dans cette idée par ma tante Stéphanie… Quand on y pense, beaucoup de parents obligent leurs enfants à faire des choses qu'ils croient bons pour eux. Ils leur dictent leurs goûts, leurs loisirs, leurs opinions, leur religion… "

"Ouais, mais ils n'en arrivent pas à donner à leur enfant un traitement pour changer leur corps…"

"Si, ça arrive parfois. Tante Stéphanie m'a expliqué qu'il existe des tas d'exemples où ce genre de choses se produisent, et qu'il y a même parfois des abus. Vitamines, vaccins, hormones de croissance, tante Stéphanie m'a fait voir de nombreux exemples. Elle est médecin, elle sait de quoi elle parle."

"Donc, tu lui fais confiance?"

Chloé s'arrêta un instant, elle semblait réfléchir, puis elle m'enlaça:

"J'ai confiance en toi."

Profondément touché par ce qu'elle me disait, je la serrais fort:

"Je ne te laisserais pas tomber."

Au même moment, j'avais envie de l'embrasser, de lui avouer mes désirs… Mais je sentais bien qu'en faisant cela, je perdrais sa confiance.



Les mois suivants furent compliqués à gérer pour moi. Je m'efforçais sans grand succès de me concentrer sur mes études. Je ne cessais de penser à Chloé. Quand je la voyais, j'essayais de me souvenir qu'elle était mon copain d'enfance Antoine, et non cette splendide jeune fille qui me montrait régulièrement qu'elle aimait être avec moi.



Ce n'est qu'au printemps que les choses changèrent soudainement entre Chloé et moi. Nous profitions du beau temps pour prendre un verre en terrasse avec Léa, qui nous présentait Quentin, son nouveau petit copain. Comme toujours, Léa était très enthousiaste et pleine d'énergie. Elle nous racontait, avec énormément de détails qui semblaient gêner son petit ami, leur première rencontre.

A un moment, sans doute pour tenter de changer de sujet, Quentin nous demanda à Chloé et à moi, si nous étions ensemble depuis longtemps. Léa ne nous laissa pas le temps de nier:

"Oui, ils sont ensemble depuis tout petits! Ils forment un joli couple, tu ne trouves pas?"

J'essayais d'intervenir tandis que Chloé rougissait. Mais Léa continua, en parlant de plus en plus fort:

"Ils s'aiment à la folie depuis des années, tout le monde est au courant… Sauf eux!

Je rougissais et baissais les yeux à mon tour, je jetai un regard furtif vers Chloé, qui fit de même, puis se précipita sur son verre, l'avala d'un trait, en manquant de s'étrangler.



Ce n'est que plus tard, alors que je venais de raccompagner Chloé devant chez elle, qu'elle osa timidement me poser la question:

"C'est vrai? Ce que Léa a dit à propos de nous?"

"Euh, je… Je crois… "

Le moment que j'avais tant espéré, et tant redouté, était arrivé. Elle m'enlaça et rapprocha doucement son visage du mien. Elle me regardait dans les yeux avec une intensité que je ne lui connaissais pas. Pendant une fraction de seconde, je me demandais si je ne devais pas partir en courant, mais quand elle ferma ses yeux, je ne pus que poser mes lèvres sur les siennes, puis rapidement, chercher sa langue avec la mienne. Ce premier baiser fut pour moi une explosion de sentiments, un instant de bonheur indescriptible.

Très vite, Chloé me prit par la main et m'entraina à l'intérieur, vers sa chambre. A peine entrés, elle m'embrassait et me caressait en déboutonnant ma chemise. Je faisais de même, posant pour la première fois mes mains sur sa petite, mais ravissante poitrine. Ses seins étaient d'une sensibilité rare, car elle se mit à gémir dès le premier contact. Rapidement, nous étions tous les deux nus, et Chloé, prenant les choses en main, si je puis dire, se tourna et me présenta ses fesses. Je la caressais longuement, sans oser aller plus loin. Je craignais de lui faire mal, mais en se cambrant de manière très suggestive, elle me fit comprendre de ne pas hésiter. Je me mis en position, et doucement, je commençais à la pénétrer. Ensuite, je commençais un lent va-et-vient qui faisait gémir Chloé à chaque passage. Progressivement, j'accélérais le mouvement, tandis que Chloé se crispait, la tête dans son oreiller, et, peu après, je jouissais dans ses entrailles.

Nous restâmes un moment sans bouger, puis Chloé se redressa, se tourna vers moi, et recommença à m'embrasser. Elle prit sur sa table de nuit un mouchoir en papier pour m'essuyer mon sexe quelque peu souillé. Le contact de ses doigts suffit à m'exciter à nouveau. Je poussai délicatement Chloé en arrière pour la faire s'allonger sur le dos. Je pris ensuite ses jambes et les posai sur mes épaules. Puis, soulevant ses fesses pour les amener à la bonne hauteur, je le pénétrai à nouveau, mais cette fois, sans ménagement. Quand je m'inclinai en avant pour prendre sa bouche pendant que j'allais et venais en elle, elle se retrouva pliée en deux. Je la possédais complètement, et mettais ainsi fin à des mois de frustration.



Le lendemain matin, c'est la mère de Chloé qui nous réveilla en entrant dans la chambre. Elle portait un plateau avec deux bols de café, du lait, du jus d'orange et des croissants, qu'elle posa au bord du lit. Elle ne sembla pas surprise de me trouver là. Comme pour répondre à la question que je n'osais pas poser, elle dit avec un grand sourire:

"Je vous ai vu rentrer hier soir, et je vous ai entendu, cette nuit."

Je crois que ma gêne à cet instant était évidente, elle ajouta, en tendant à Chloé ses pilules d'hormones:

"Je préfère que ce soit toi plutôt qu'un autre. Tu as toujours été le meilleur ami de Chloé. Elle te fait confiance, et moi aussi!"

"Merci madame."

"Appelle-moi Sandrine! Après-tout, tu fais partie de la famille!"

Puis, après avoir surveillé du coin de l'œil que Chloé avalait bien ses pilules, elle nous laissa seuls.

Pendant le petit déjeuner, je découvrais la chambre, que je n'avais pas eu le loisir d'observer jusque-là. Ce n'était plus la chambre de petit garçon que j'avais connue quelques années auparavant. C'était l'ancienne chambre de Manon, qui avait quitté la maison quelques mois auparavant. Le lit à baldaquin sur lequel nous avions dormi était immense. Un coin bureau avec quelques étagères montrait qu'une lycéenne habitait bien là, mais le reste de la pièce évoquait plutôt une chambre de princesse. Non loin du lit, une coiffeuse était couverte de produits de beauté de toutes sortes. Deux portes garnies d'immenses miroirs fermaient un gigantesque dressing. L'épaisse moquette qui couvrait le sol était une invitation à se rouler par terre. Toute la décoration était coordonnée en un savant choix de couleurs pastelles. 

Après une douche prise à deux, et agrémentée de baisers et de caresses, j'assistais en spectateur comblé à l'habillage de ma petite amie. Quand elle ouvrit son dressing, je vis qu'il était presque aussi étendu que la chambre. Prenant plaisir à m'exciter, Chloé fit devant moi plusieurs essayages de lingeries. Je devenais fou en la regardant remonter lentement ses bas le long de ses jambes, ou quand elle se baissait en cambrant exagérément ses fesses pour ramasser une petite culotte.

La suite, fut, elle aussi, tout un spectacle. Chloé me montra plusieurs looks, me demandant lequel était mon préféré. Entre la tenue de collégienne, avec des couettes et la mini-jupe plissée, ou la tenue de secrétaire, avec le tailleur strict, et le regard coquin derrière une grosse paire de lunettes, j'étais incapable de dire ce qui m'excitait le plus.

Est-il nécessaire de préciser qu'elle ne parvint pas tout de suite à finir de s'habiller?

Plus tard, alors qu'elle se maquillait, j'explorais l'intérieur de son dressing. J'étais impressionné par la quantité de vêtements assemblés là. J'avais entrepris d'essayer de compter les paires de chaussures quand Chloé me fit signe qu'elle était prête pour sortir. J'en étais arrivé à quarante-trois paires, et je n'en étais pas à la moitié!



Quelques jours après cette première nuit, au cours d'une conversation par ailleurs banale, j'osais demander à Chloé comment elle avait pu me montrer tant d'assurance la première fois. Je lui demandais si elle n'avait pas eu peur que je lui fasse mal. Je fus abasourdi de l'entendre me répondre qu'elle s'était entrainée!

Avec un sourire coquin, elle me montra ce qu'elle cachait dans l'un des tiroirs de sa table de nuit. A l'intérieur, il y avait plusieurs godemichés et vibromasseurs! Devant ma surprise, elle m'expliqua:

"Avec mon traitement aux hormones, je suis incapable de faire quoi que ce soit avec mon sexe de garçon. Tante Stéphanie m'a expliqué que je pouvais avoir du plaisir autrement, par un massage de la prostate, et elle m'a offert ces différents gadgets… D'abord, je n'ai pas osé, et puis par curiosité, j'ai essayé, et effectivement, j'ai commencé à y prendre du plaisir. Par la suite, je me suis demandé comment ce serait avec un homme, un vrai… J'ai tout de suite pensé à toi, sans oser franchir le pas…"

"C'est comme moi, ça faisait longtemps que j'avais envie de…"

Un profond baiser m'empêcha d'en dire plus.



Les semaines suivantes, notre complicité ne fit que s'accentuer. Un soir, Chloé me fit m'assoir sur le lit et me demanda de la laisser faire. Elle déboutonna mon pantalon, et sortit mon sexe, qui se redressait déjà. Elle me fit un clin d'œil:

"Il y a longtemps que je me demande l'effet que ça fait!"

Puis elle se pencha et commença à prendre mon sexe en bouche pour la première fois. Même si j'en rêvais, je n'aurais jamais osé lui demander de me faire une fellation. D'abord maladroitement, elle commença à aller et venir le long de mon membre, puis, prenant de l'assurance, elle parvint à me faire éjaculer au fond de sa gorge, puis sur son visage et sa poitrine. C'était un cadeau exceptionnel qu'elle venait de me faire.



Les semaines, les mois, et toute l'année qui suivirent ne furent pour moi que du bonheur. Je passais plus de temps chez Chloé que chez moi, au point que mes parents devaient quasiment prendre rendez-vous avec moi pour me voir.

J'aimais Chloé, et elle m'aimait. Elle me disait que je la rendais heureuse, même si, parfois, elle avait un petit accès de déprime. Dans ces moments, c'était toujours la même chose. Elle pleurait dans mes bras, disant qu'elle était un garçon, qu'elle aurait voulu être un homme. Elle disait qu'elle en avait assez de jouer le rôle de la jolie fille coquette. A chaque fois, mon argumentation était la même:

"Patience, bientôt, nous aurons dix-huit ans. Nous pourrons partir, loin, et commencer une nouvelle vie. Fais-moi confiance."

Heureusement, elle se ressaisissait vite et redevenait ma si parfaite et souriante petite amie.



Enfin, le jour de ses dix-huit ans, quand sa mère annonça devant tout le monde notre prochain voyage en Thaïlande pour son opération, Chloé s'effondra de chagrin. Sous les applaudissements de tous ceux qui prenaient ses larmes pour des larmes de bonheur, je l'accompagnais jusqu'à sa chambre.

Stéphanie vint nous rejoindre, et donna un calmant à sa nièce, avant de nous laisser seuls. Chloé se blottit dans mes bras, comme elle l'avait fait si souvent. Je savais qu'elle attendait que je lui dise que le moment tant attendu était arrivé. Nous avions dix-huit ans, et nous allions pouvoir nous sauver…

Comme je l'avais fait si souvent, je lui caressais les cheveux en lui parlant doucement de ce que nous allions faire:

"Chloé, n'ai pas peur, je suis là. Je resterais près de toi, et nous surmonterons cette épreuve ensemble."

"Merci…"

"Oui, je vais venir avec toi en Thaïlande, et je serais à tes côtés jusqu'au bout. Je veux être avec toi quand tu seras enfin une vraie femme!"

A ces mots, Chloé me repoussa violemment:

"Quoi? Je croyais que tu allais m'aider à me sauver!"

"Te sauver? Pour aller où? Tu veux quitter tous ces gens qui t'aiment? Et pour trouver quoi, à la place?"

Je lus le désespoir dans ses yeux. Elle me tourna le dos, le visage dans ses mains. Elle sanglotait:

"J'avais confiance en toi… "

"Chloé, je t'aime! Tu peux me faire confiance. Je ne te quitterais jamais! Si tu veux, on pourra même se marier, après!"

"Tu dis que tu m'aimes… Comme ma mère ou ma tante!"

Je poussais délicatement Chloé jusqu'à un miroir.

"Chloé, fais-toi une raison. Regarde-toi! Tu es une femme, et une très belle femme! Tu vis en fille depuis si longtemps que tu ne saurais plus vivre autrement. Autant assumer et aller jusqu'au bout!"

Pendant un long moment, elle resta sans réaction, elle sanglotait doucement sans dire un mot. Je restais là, derrière elle, mes mains posées sur ses épaules.

J'imagine que le calmant commençait à faire de l'effet. Elle se retourna doucement et me regarda dans les yeux. Je lisais dans son regard un profond désespoir, et en même temps, elle souriait:

"Tu sais? Tu as raison! Si déjà j'en suis arrivée là, autant aller jusqu'au bout. Allons-y! Allons en Thaïlande! Il faut en finir!"

Elle me faisait ce même sourire qu'elle faisait continuellement à sa mère ou à sa tante. Je la connaissais par cœur. Je savais que ce sourire était un mensonge.

Je l'avais trahie…

……………..



Aujourd'hui, dans l'avion, quand j'y repense, je ne regrette rien. Chloé me pardonnera, et nous serons heureux.

Bientôt elle sera définitivement une vraie femme, et je lui ferais l'amour, comme à une vraie femme.

Je me tourne vers elle. Elle dort. Elle est si belle…

……………..



Notre avion s'est enfin posé à Bangkok. Nous nous installons à l'hôtel, puis nous nous rendons à l'hôpital. Nous rencontrons le chirurgien qui va se charger de l'opération. Je ne comprends pas tout ce qui se dit, je maîtrise mal l'anglais, et il parle avec un terrible accent thaï. Heureusement, Stéphanie, qui parle plusieurs langues, se charge de parler avec le docteur. Sa présence est d'autant plus précieuse que c'est elle qui a supervisé l'ensemble du traitement hormonal de son neveu, destiné à devenir sa nièce.

Chloé passe de nombreux tests pendant plusieurs jours. Je reste avec elle autant que possible. Elle semble terrorisée, mais subit stoïquement toutes les analyses.

Enfin, le grand jour est arrivé. Chloé va être opérée. Sa mère, sa tante et moi sommes avec elle dans sa chambre. Une infirmière prépare un cocktail de médicaments dans un gobelet en plastique et le tend à Chloé avant de sortir de la chambre. Stéphanie explique:

"Chloé, c'est un somnifère et un calmant. Quand tu auras avalé ça, tu t'endormiras en douceur. Plus tard, quand tu seras bien endormie, le chirurgien et son équipe viendront te chercher pour t'emmener en salle d'opération. Demain, quand tu te réveilleras, tu seras une vraie femme!"

Chloé tremble, elle est nerveuse. Sa mère l'embrasse et quitte la chambre avec sa tante. Je reste seul avec elle. J'aimerais être plus utile, mais ému, je parviens seulement à murmurer quelques banalités:

"Bon, le moment est arrivé…"

"Oui, je suppose. Merci d'être là, avec moi."

"Je te l'ai promis il y a longtemps, je ne te laisserais jamais tomber!"

"Oui, tu m'as fait une promesse il y a longtemps…"

Elle reste un moment silencieuse, sans bouger, à regarder le contenu de son gobelet qu'elle ne semble pas pressée d'avaler.

Soudain, elle se redresse, elle me fait un sourire, et me demande si j'ai soif. Elle se tourne vers la table de nuit, où il y a une carafe d'eau et d'autres gobelets. Elle me sert un gobelet d'eau et me le tend:

"Bon, à la tienne!"

"A la tienne, Chloé!"

Nous trinquons, puis vidons nos gobelets d'un trait, et nous continuons à parler en attendant que le somnifère fasse effet…

……………..



Je viens de me réveiller. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je reconnais autour de moi la chambre d'hôpital. Je me sens vaseux, comme un lendemain de cuite. J'ai l'impression que j'ai été drogué.

Une infirmière est penchée sur moi et me parle. Je ne comprends rien, elle me parle en thaï. Après une phrase dont le ton semble m'indiquer de ne pas bouger, elle quitte la chambre en courant. J'essaye de me redresser, mais j'en suis incapable. Je suis trop faible, et mon corps me fait mal à chaque fois que je tente de bouger. J'ai l'impression d'être passé dans une machine à laver en mode essorage.

Enfin, j'entends quelqu'un arriver. L'infirmière est allée chercher le docteur. Ils sont accompagnés de Sandrine, en pleurs, et de Stéphanie. Le médecin a l'air complètement affolé, il transpire beaucoup. Il ne cesse de s'incliner à la manière asiatique, et de répéter:

"Sorry, sorry!"

Il me parle en anglais avec son terrible accent thaï. Je ne comprends rien, et j'ai mal à la tête.

Sandrine est ressortie de la chambre, semblant totalement bouleversée. Stéphanie me prend la main, elle est la seule qui semble se maîtriser. L'expression de son visage montre qu'elle doit m'annoncer quelque chose de terrible. Après un instant qui me semble une éternité, elle parvient à me dire:

"Chloé est partie, elle a fugué… Elle a laissé un mot pour dire qu'elle nous aime tous, toi aussi, et qu'elle est désolée de ne pas être celle que l'on voulait qu'elle soit."

Stéphanie reste silencieuse un long moment, avant de poursuivre:

"Il semble que Chloé voulait être sûre d'avoir le temps de disparaitre. Elle voulait gagner du temps…"

Je lutte contre la douleur et mon esprit embrumé. J'essaye de comprendre ce qu'elle cherche à me dire. Elle continue:

"Je crois que Chloé t'a fait boire le somnifère qui lui était destiné. Quand tu t'es endormi, elle t'a déshabillé et s'est déguisée avec tes vêtements. Ensuite, elle t'a allongé à sa place dans son lit avant de se sauver… Je suppose qu'elle espérait qu'ainsi, on remarquerait son départ le plus tard possible."

Je me souviens du moment où Chloé m'a tendu le gobelet d'eau. Elle a, l'espace d'un instant attiré mon attention vers la fenêtre derrière moi. J'imagine que c'est à ce moment qu'elle a échangé son gobelet avec le mien. Je demande:

"C'est un somnifère qui m'a mis dans cet état? Oh, je ne me sens vraiment pas bien…"

"Non, ce n'est pas le somnifère. Quand les infirmiers sont venus chercher Chloé, ils ne se sont pas rendu compte qu'une autre personne était à sa place. Après, quand le chirurgien et les infirmières qui connaissaient Chloé sont entrés dans la salle d'opération, ton visage était déjà caché par le masque à oxygène."

"Qu'est-ce que vous essayez de me dire…"

"C'est une terrible erreur, mais ils t'ont opéré à la place de Chloé."

A ces mots, malgré la douleur intense, je trouve soudain l'énergie pour me redresser. Je découvre avec horreur mon entre-jambe pansée, avec plusieurs tuyaux qui en sortent!

"Non, non, ce n'est pas possible! Il faut rectifier ça! Il faut me réopérer!"

"C'est impossible, c'est irréversible. Je suis désolée, mais tu possèdes maintenant un sexe de femme… Pour toujours!"



Je retombe en arrière, complètement désespéré. Stéphanie serre fortement ma main. Avec un ton calme, presque clinique, elle me dit:

"Courage! Tout ira bien… Bon, c'est vrai qu'avec la perte de tes testicules, tu vas devoir prendre un traitement hormonal à vie. Comme tu n'es plus vraiment un homme, je suggère plutôt de choisir un traitement d'hormones féminines. Tu finiras par t'y faire, je t'aiderais… Je te montrerais que ta vie pourra être très agréable, tu apprendras à aimer… être une femme!"



Petit Pierre

2 commentaires:

  1. Wow ! quelle histoire ! Je ne m'attendais pas à une telle fin. C'est bien écrit et surtout très original.

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  2. Merci Frenchie, pour tous vos commentaires. Je suis d'autant plus sensible à ce commentaire sur une histoire que j'ai imaginé!!! Merci!

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