J'attendais ce
voyage avec impatience. Nous sommes dans l'avion pour la Thaïlande, avec ma
petite amie Chloé, sa tante Stéphanie et sa mère Sandrine.
Je tiens la main de
ma copine. Elle est moite. Je sais que Chloé est morte de peur, même si elle ne
le montre pas. Oh, elle n'a pas peur de l'avion, enfin, je ne crois pas. En
réalité c'est le but de notre voyage qui l'angoisse. Chloé va subir une
opération de changement de sexe. Elle va devenir une véritable jeune femme. En
effet, ma petite amie Chloé était autrefois mon ami d'enfance Antoine.
C'est sa mère qui a
offert ce voyage à Chloé pour ses dix-huit ans, et j'ai la chance de pouvoir
les accompagner.
Il y a quelques
jours à peine, nous fêtions l'anniversaire de ma copine. Elle était ravie
d'être enfin majeure et de pouvoir enfin envisager mener sa vie comme elle
l'entendait.
Chloé ouvrait ses
cadeaux et remerciait tout le monde avec un sourire éclatant. Elle n'en
finissait pas d'ouvrir des paquets qui contenaient des robes, de la lingerie,
des chaussures, du parfum, et tant d'autres choses dont rêvent les jeunes
filles. J'étais sans doute le seul dans l'assemblée à discerner dans le regard
de ma copine un profond désespoir, qu'elle cachait parfaitement bien.
Chloé éclata en
sanglots quand elle ouvrit l'enveloppe que sa mère lui tendait et y découvrit
un carton sur lequel était écrit: "Bon pour une opération de chirurgie de
réattribution sexuelle – Hôpital de Bangkok – Thaïlande".
Toute l'assemblée
applaudit, ravie de voir les larmes de joie de Chloé. Les personnes présentes
savaient toutes qu'elle était une fille dans le corps d'un garçon depuis son coming-out officiel quand elle avait quinze
ans.
J'étais sans doute
le seul dans l'assemblée à savoir que les larmes de ma copine étaient en
réalité une manifestation de désespoir. Je savais qu'Antoine n'avait en réalité
jamais choisi de devenir Chloé, mais que c'était sa mère qui l'avait poussé
dans cette voie.
Voyant que Chloé
allait se sentir mal, je l'accompagnais dans sa chambre. Au passage, de
nombreuses personnes me saluèrent et me félicitèrent. Pour elles, j'étais l'ami
fidèle qui avait le premier accepté la différence de Chloé. Pour elles, j'étais
un exemple de tolérance et de patience. Pour toutes ces personnes, j'étais une
sorte de héros, de gendre idéal. Je savourais ce rôle, même s'il s'agissait
d'un terrible mensonge.
Dans l'avion, je
regarde le joli visage de Chloé qui semble apaisé. Elle vient de s'endormir. Je
lui caresse les cheveux, et je me souviens comment tout a commencé…
……………..
J'ai rencontré
Antoine pour la première fois à l'école primaire. Nous habitions très près l'un
de l'autre. Ainsi, chaque jour, nous empruntions ensemble le chemin de l'école.
Cette habitude fut sans doute à l'origine de notre amitié. Nous partagions
toutes nos découvertes, tous nos jeux, tous nos rêves.
A cette époque,
nous n'étions que des gamins ordinaires.
C'est à notre
entrée au collège, alors que nous étions encore pré-adolescents, que je
commençais à me rendre compte que mon ami Antoine était différent de mes autres
amis. A cet âge ingrat où les enfants peuvent se montrer particulièrement
cruels avec ceux qui sont différents, Antoine devint rapidement la tête de turc
de notre classe. Dans l'innocence de l'enfance, je n'y avais pas prêté
attention avant, mais mon ami n'était pas tout-à-fait comme les autres garçons.
Il était le plus petit de la classe, donc une victime toute désignée pour les
quolibets des imbéciles, dont, je dois l'avouer, je fis partie pendant un
temps.
Antoine avait
toujours eu des cheveux longs, ce que je trouvais particulièrement cool, mais
sa coiffure soignée lui donnait des airs de fille. De plus, il portait le plus
souvent les anciens vêtements de Manon, sa grande sœur. Ce n'étaient que des
habits unisexes, des pantalons, des pulls, des tee-shirts, ou des baskets, mais
le fait que sa sœur les avait portés avant lui était suffisant pour attirer les
moqueries. Je soupçonne d'ailleurs Manon d'avoir contribué à faire savoir dans
le collège que son petit frère portait ses vêtements.
Pendant longtemps,
je participais joyeusement aux plaisanteries dont Antoine était la victime. Je
ne me rendais pas compte à cette époque à quel point il en souffrait. Il n'en
parlait pas, et pourtant, nous empruntions toujours ensemble, matin et soir, le
chemin du collège.
Je pris la défense
d'Antoine un jour où j'estimai que les choses étaient allées trop loin. Un
jour, pendant une récréation, je vis un attroupement au niveau des toilettes.
En m'approchant, je me rendis compte que plusieurs jeunes entouraient mon ami,
dont le pantalon était baissé, et se moquaient de ses sous-vêtements. Il
portait une petite culotte de fille en coton.
Mon éducation
m'interdisait d'accepter que l'on puisse persécuter une personne pour ses choix
personnels ou intimes. Et quoi de plus intime que des sous-vêtements? J'étais
choqué par le comportement de mes camarades. C'est pourquoi je pris mon courage
à deux mains et j'intervins pour faire taire les railleries et j'aidai mon ami
à remonter son pantalon. Heureusement, mon intervention vigoureuse prit tout le
monde par surprise et personne ne réagit. J'avais eu très peur d'avoir à me
battre.
Un peu plus tard,
en reparlant de cet incident avec Antoine, je lui demandai pourquoi il portait
des vêtements et des sous-vêtements féminins. Je sentais bien qu'il était gêné
d'aborder ce sujet. Il m'expliqua sur le ton d'une leçon apprise par cœur que
ces affaires n'étaient pas féminines, mais unisexes. C'est vrai que même sa
petite culotte n'était pas plus ridicule que certains modèles de slips ou
caleçons informes que nous portions tous. Antoine ajouta que c'était
essentiellement par soucis d'économies qu'il était obligé de réutiliser les
affaires de sa sœur Manon, qui avait trois ans de plus que lui.
Cette dernière
explication me sembla étrange. Je savais qu'Antoine ne vivait pas dans la
pauvreté. Depuis la séparation de ses parents, il vivait avec sa mère et sa
sœur chez sa tante, qui était médecin. Sa mère avait un bon emploi elle aussi,
et elle touchait une belle pension alimentaire de son ex-mari. Mais,
après-tout, le fait d'être aisé n'empêche pas de vouloir faire des économies.
Quelques semaines
plus tard, j'allais chez Antoine pour lui rendre un livre qu'il m'avait prêté.
J'avais déjà été chez lui souvent, mais c'était la première fois que j'allais
le voir sans prévenir. Le livre était un "Harry Potter". Je savais
qu'il possédait toute la collection, et j'avais hâte de lire la suite.
Sa mère sembla
surprise en m'ouvrant la porte. En hésita quelques instants avant de
m'expliquer qu'Antoine était puni. J'étais très déçu de ne pas pouvoir voir mon
ami, enfin, surtout de pas pouvoir récupérer immédiatement le livre espéré.
J'allais repartir quand elle me retint:
"Bon, bon,
j'appelle Antoine, mais s'il te plaît, ne soit pas trop surpris. Sa punition va
te sembler originale, sans doute même bizarre…"
Ella appela son
fils, qui vint nous rejoindre peu après. Je serais incapable de dire lequel de
nous deux fut le plus gêné de voir l'autre à cet instant. Il était habillé en
petite fille! Cette fois, il ne s'agissait absolument pas de vêtements
unisexes. Il portait une robe rose ornée de petits rubans, un nœud dans les
cheveux, des collants fins blancs et des ballerines roses. Sous le choc d'être
vu dans cette tenue, il se mit à pleurer:
"Maman! Tu
avais promis! C'était un secret!"
"Allons, mon
chéri, c'est ton meilleur ami, tu ne cesses de le répéter. Si tu ne partages
pas tes secrets avec tes meilleurs amis, alors avec qui?"
J'étais effaré de
voir mon ami dans cette tenue. J'avais l'impression de voir une autre personne.
Devant mes yeux, il n'y avait plus mon copain Antoine, mais une adorable petite
fille. Sous le coup de la surprise, j'étais incapable de parler. Sa mère se
tourna vers moi:
"D'ailleurs,
ton ami va nous promettre de garder le secret. N'est-ce-pas?"
Elle me parlait
avec un grand sourire, mais le ton qu'elle employait était très autoritaire. Je
bredouillais:
"Oui, oui, je
vais garder le secret, promis!"
Encore chamboulé,
je rentrais chez moi avec le livre espéré, mais je fus incapable de commencer à
le lire. Je ne me remettais pas de la vision de mon ami habillé en fille. J'y
pensais durant toute la journée. Le soir, pendant le repas, je ne touchais pas
mon assiette. Ma mère, inquiète, me demanda si j'étais malade. Comme je maugréais
sans répondre clairement, elle insista longuement pour savoir ce qui me
préoccupait. Je quittai la table en criant:
"Fiche-moi la
paix! Je ne peux pas le dire. J'ai promis de garder le secret!"
Evidemment, maman
savait que j'avais été chez Antoine plus tôt dans la journée. Elle ne mit pas
longtemps pour comprendre d'où venait mon trouble, et elle appela Sandrine, la
mère de mon ami. Elle resta au téléphone pendant plus d'une heure avant de
venir me rejoindre dans ma chambre:
"J'ai parlé
avec la mère d'Antoine. Elle m'a expliqué qu'elle utilise une vieille méthode
d'éducation qui a fait ses preuves. En anglais, on appelle ça 'petticoat
punishment'… La
punition par le jupon."
"Ouais, c'est
quoi cette punition? C'est dingue!"
"Non, ce n'est
pas dingue! Dans le temps, dans les bonnes familles, les garçons étaient
habillés en robe pendant une grande partie de leur enfance. A cette époque,
c'était normal."
"Ouais… Mais
on n'est au vingt-et-unième siècle!"
Maman prit un ton
plus sévère:
"Ce n'est pas
parce que quelque chose est ancien que ce n'est plus valable! Tu n'as pas à
juger les méthodes d'éducation des parents de tes amis. Moi, j'ai plutôt
l'impression que cette méthode est efficace. Je me demande d'ailleurs si je ne
devrais pas l'utiliser avec toi!"
Je n'osais plus
rien dire. J'étais scandalisé que l'on puisse humilier ainsi un garçon. Mais
j'étais soudain effrayé par ce que ma mère venait de dire. Moi? Habillé en
fille? Jamais!
Ma mère me fit
promettre une nouvelle fois de garder le secret de mon ami.
J'allais tenir ma
promesse. De plus, dans les semaines qui suivirent, je me comportais comme un
garçon modèle. J'étais bien trop effrayé que ma mère ne s'inspire des méthodes
d'éducation de Sandrine pour me les appliquer à moi!
Antoine et moi
faisions toujours le chemin du collège ensemble chaque matin. Pourtant, pendant
plusieurs jours, nous marchions en silence. Antoine semblait attendre de savoir
s'il pouvait vraiment avoir confiance en moi. De mon côté, j'étais trop gêné
moi aussi pour engager une conversation normale.
Heureusement, au
bout d'un certain temps, nous recommencions à nous détendre et à retrouver nos
anciennes habitudes.
Les semaines et les
mois suivants se déroulèrent sans incident notable. Parfois, le week-end, quand
j'allais voir Antoine, pour faire nos devoirs ensemble, ou pour jouer, il
m'accueillait habillé en fille. Progressivement, je m'y habituais, et Antoine
également. Pourtant, je m'étonnais de le savoir puni aussi souvent. C'était un
si gentil garçon!
Le temps passait.
Nous grandissions. Nos centres d'intérêts changeaient…
Une chose ne changeait pas. Nos camarades de classe restaient particulièrement odieux avec Antoine. La plupart des élèves l'appelaient derrière son dos "la tapette". Il faut dire que le pauvre ne pouvait rien faire pour faire taire les quolibets. Sa mère lui imposait des tenues et des accessoires qui le faisaient sembler de plus en plus efféminé. En hiver, il portait des collants sous ses pantalons, ce qui n'échappait pas aux yeux des plus observateurs. D'autant plus qu'avec le temps, les couleurs des collants devenaient de plus en plus voyantes. Elles évoluèrent d'un discret noir ou bleu marine vers du rouge, du blanc, voire même du rose.
Une chose ne changeait pas. Nos camarades de classe restaient particulièrement odieux avec Antoine. La plupart des élèves l'appelaient derrière son dos "la tapette". Il faut dire que le pauvre ne pouvait rien faire pour faire taire les quolibets. Sa mère lui imposait des tenues et des accessoires qui le faisaient sembler de plus en plus efféminé. En hiver, il portait des collants sous ses pantalons, ce qui n'échappait pas aux yeux des plus observateurs. D'autant plus qu'avec le temps, les couleurs des collants devenaient de plus en plus voyantes. Elles évoluèrent d'un discret noir ou bleu marine vers du rouge, du blanc, voire même du rose.
Pour ses treize
ans, Antoine reçut une paire de boucles d'oreilles. Bien sûr, d'autres garçons
portent comme lui des mini-créoles, mais le reste de leur apparence est en
général bien virile.
Les filles de notre
classe ne tardèrent pas à remarquer d'autres détails qui avaient échappé aux
garçons. Les sourcils d'Antoine étaient progressivement épilés en une arche de
plus en plus fine. De plus, ses ongles étaient soignés et vernis. C'était un
verni transparent que je n'avais pas remarqué, mais qui n'avait pas échappé aux
filles.
Heureusement pour
mon ami, suite à ces dernières évolutions, plusieurs filles de la classe se
rapprochèrent de lui. Grâce à elles, il se sentait moins seul, mais je restais
son seul ami, ou plus exactement le seul garçon parmi ses amis.
Un samedi matin, en
rentrant du collège, je proposais à Antoine d'aller au cinéma l'après-midi pour
voir le dernier film d'action à la mode. Nous passions souvent ainsi nos
samedis ensemble, mais ce jour-là, les choses allaient être différentes. Comme
toujours, je suivis Antoine chez lui pour demander l'autorisation de sortie à
sa mère. Celle-ci me proposa de les rejoindre dans un salon de thé vers seize
heures. Elle m'expliqua qu'Antoine avait rendez-vous chez le coiffeur en début
d'après-midi. Je n'y voyais aucun inconvénient, et j'acceptai joyeusement.
Plus tard, dans
l'après-midi, en entrant dans le salon de thé, je n'en crus pas mes yeux. Je
parvins difficilement à reconnaitre Antoine, et uniquement parce qu'il était
avec sa mère.
Ses cheveux enjolivés
de quelques mèches décolorées étaient ramenés derrière ses oreilles d'où
pendaient de longues boucles d'oreilles. Ses yeux verts étaient magnifiques,
mis en valeur par un savant maquillage. Ses lèvres brillaient d'un rose nacré,
de la même couleur que ses ongles. C'était la première fois que je voyais mon ami
porter du maquillage. De plus, il portait une élégante robe d'adolescente de
couleur émeraude et des ballerines vernies de la même couleur. Ses jolies
jambes épilées étaient mises en valeur par un collant fin très clair.
J'avais déjà vu
plusieurs fois mon ami habillé en petite fille, mais là, c'était différent. Il
ressemblait à une adolescente. Il, je devrais dire elle, était magnifique, et
même excitante. La mère d'Antoine me fit assoir et m'annonça à voix basse:
"Quand nous
sommes ainsi en public, il vaut mieux ne pas l'appeler Antoine. Tu comprends,
n'est-ce-pas?"
"Euh, oui,
bien sûr!"
"Parfait, je
te présente Chloé. C'est le prénom que je lui aurait donné à sa naissance si
elle avait été une fille."
Elle nous offrit
ensuite un chocolat chaud et une part de gâteau avant de nous laisser seuls,
nous recommandant "d'être sages".
C'était la première
fois que j'étais en public avec mon ami habillé en fille. Il avait l'air
terrorisé. Je posais ma main sur la sienne, en essayant de le rassurer, tout en
me rendant aussitôt compte en rougissant que je n'aurais jamais fait un tel
geste s'il avait été en garçon.
Il se leva,
emportant son petit sac à main assorti à ses chaussures:
"Allons-y, je
crois que je me sentirais mieux au cinéma, dans le noir…"
Peu après, alors
que nous marchions vers le cinéma, j'admirais comment mon ami se déplaçait,
faisant bouger les volants de sa petite robe de manière très féminine. J'avais
beau chercher, je ne trouvais aucun indice qui pouvait laisser supposer qu'il
était un garçon.
J'aurais voulu lui
poser des milliers de questions sur ce qu'il ressentait, sur les raisons qui
pouvaient pousser sa mère à le traiter de cette manière, mais je n'osais pas.
En approchant du cinéma, Antoine, ou plutôt Chloé me prit brusquement par la
main et nous fit faire un détour par une ruelle. Elle avait vu un groupe de
jeunes de notre collège, et elle était terrorisée à l'idée d'être reconnue. J'avoue
que j'étais de son avis. J'avais moi aussi peur d'être vu dans ces
circonstances.
Chloé ne me lâcha
plus la main avant d'entrer au cinéma. J'étais partagé entre le sentiment de
fierté d'avoir à mes côtés une aussi jolie fille, et une profonde gêne de voir
ainsi mon meilleur ami.
A la fin du film,
qui m'avait fait oublier pendant un moment ma gêne, je pris Chloé par la main
et la raccompagnais chez elle, en faisant plusieurs détours pour éviter de
rencontrer des personnes qui nous connaissaient. Nous étions tous deux soulagés
en entrant chez elle. Sa mère nous accueillit:
"Bonsoir, mes
enfants. Vous avez passé un bon après-midi?"
"Oui,
merci."
"Bien Chloé,
tu vas remercier ton ami!"
Chloé se tourna
vers moi, et les yeux baissés, me dit un timide "merci". Sa mère
insista:
"Allons, tu
peux faire mieux que cela, Qu'est-ce que je t'ai appris?"
Ainsi, Chloé se
pencha vers moi et m'embrassa sur la joue.
Le lundi suivant,
je retrouvais mon ami Antoine pour aller en cours. Ses longs cheveux étaient
coiffés en queue de cheval, et il était habillé en garçon. Il ne portait plus
de trace de maquillage, et seuls de discrets boutons dorés ornaient ses
oreilles. Aucun d'entre nous n'osa parler de ce que nous avions vécu.
Les mois suivants,
je continuais à voir Antoine tous les jours, mais je m'éloignais quelque peu de
lui pour m'intéresser aux filles de notre collège. J'étais très attiré par une
petite brune nommée Lucille, avec qui je pratiquais un flirt très poussé. Elle
devint ma première petite amie, alors que nous venions tous les deux d'avoir
quatorze ans.
De son côté,
Antoine ne restait pas seul. Il avait été "adopté" par un petit
groupe de filles. Parmi elles, il y avait surtout une rouquine nommée Léa, qui
lui tenait la main, lui faisait régulièrement des bises… Et, après quelques
semaines, je vis pour la première fois Antoine et Léa s'embrasser sur la bouche.
J'étais content pour mon ami. Il montrait à tout le monde qu'il n'était pas une
"tapette", comme ils disaient.
Au collège, Antoine
se comportait toujours en garçon, surtout quand il était avec sa petite amie
Léa. Pourtant, son apparence était de plus en plus androgyne. Ses vêtements
étaient de moins en moins unisexes. Des corsaires moulants ou des leggings
prenaient la place de ses pantalons. Ses pulls et ses tee-shirts étaient de
plus en plus colorés.
Progressivement,
Antoine abandonna définitivement les vêtements de garçon. Ses chemises étaient
remplacées par des chemisiers féminins. Il faut être attentif pour remarquer
que le sens de boutonnage n'est pas le même sur une chemise
"unisexe", mais là, il n'y avait aucun doute. Les cols ronds, les petits
nœuds, les rubans ou les broderies sur les chemisiers étaient des
caractéristiques incontestablement féminines.
Au printemps, les
chemisiers de plus en plus fins laissaient deviner qu'Antoine portait des
caracos bordés de dentelles en dessous.
Les chaussures
d'Antoine étaient elles aussi de plus en plus féminines. Il abandonna les
baskets pour des derbies blanches, ou parfois des bottines à petits talons.
Les personnes
qu'Antoine croisait l'appelaient de plus en plus souvent
"mademoiselle".
Tout cela ne
semblait pas déranger Léa. Au contraire!
Un jour où le
hasard me permit de parler avec elle en tête à tête, notre conversation se
concentra évidemment sur notre ami commun. Pour Léa, Antoine était un adorable
garçon efféminé. Rien dans ce qu'elle me dit ne me laissait supposer qu'elle
savait qu'il était forcé par sa mère de s'habiller en fille. Je déduisis même de
ce que Léa me disait n'avait jamais vu son petit ami en jupe ou en robe.
Mise à part sa
famille, j'étais toujours le seul à connaitre son secret. Pendant quelques
temps, je crus que mon ami avait changé, que ses goûts avaient évolué, que
c'était désormais son choix de porter des vêtements féminins. Pourtant, ce
n'était pas le cas. Il me le confirma un dimanche où j'étais chez lui, et où
une fois de plus, il était en Chloé, avec une jolie robe, une coiffure
sophistiquée, et du maquillage.
Pour tout le monde,
Antoine était un garçon efféminé qui cultivait volontairement un look
androgyne.
Les mois passaient,
bientôt, nous allions quitter le collège pour le lycée. Tout allait bien entre
ma petite amie Lucille et moi, même si parfois, elle se montrait jalouse du
temps que je passais avec Antoine. C'est vrai qu'avec l'approche du brevet, je
passais souvent une partie de mes week-ends avec lui pour réviser ensemble.
Un dimanche,
j'étais avec mon ami pour reprendre nos cours de math. Il, ou plutôt elle,
portait une tenue de collégienne, avec la petite jupe plissée, le chemisier
fermé au col par un ruban, la veste blazer, les chaussettes qui montaient
au-dessus des genoux, et les petites ballerines noires. Ses cheveux étaient
élégamment attachés, mais elle ne portait pas de maquillage.
Une fois de plus,
après avoir tourné la tête pour vérifier que nous étions seuls, Antoine-Chloé
me dit:
"Tu as de la
chance. Personne ne t'oblige à être ce que tu n'es pas. Tu peux rester un
garçon… Un homme!"
Je lui mis ma main
sur l'épaule:
"Bas! Il ne
faut pas t'en faire. Tout cela s'arrêtera un jour. Et puis, tu as une petite
amie, ça va bien avec Léa, non?"
"Oui,
heureusement qu'elle est là… Mais au fond, je crois qu'elle aime bien elle
aussi mon côté fille. Je crois que si je pouvais me comporter en vrai mec, elle
me quitterait… Il n'y a que toi qui sait à quel point c'est dur pour moi."
"Patience!
Nous attendons tous le moment où nous serons adultes et où nous ferons ce que
nous voudrons! Tu sais, ma vie n'est pas non plus rose tous les jours!"
Mon ami me
regardait en silence, comme s'il espérait que je lui donne une solution miracle
pour son problème:
"Et puis
bientôt, avec l'âge, tu vas devenir plus masculin, ta voix va devenir plus
grave… Ce serait ridicule de te forcer à t'habiller en robe quand tu
commenceras à avoir de la barbe. Même ta mère sera bien obligée de reconnaitre
que tu es un garçon!"
Des larmes
commençaient à couler sur les joues de mon ami:
"Non, ça
n'arrivera pas…"
"Et pourquoi
pas? Tu as l'âge… Bon c'est vrai que la puberté commence plus ou moins tard
selon les individus, mais ça finira par t'arriver, comme pour moi, ou pour tous
les copains!"
"Non, ça
n'arrivera pas… Ma tante me fait prendre des médicaments pour ça!"
Sous le choc d'une
révélation aussi incroyable, je ne dis plus rien. Je pris mon ami dans mes
bras, et il pleura sur mon épaule.
Je n'arrivais pas à
croire que sa mère et sa tante pouvaient infliger un tel traitement à Antoine.
Je ne parvenais pas à concevoir une telle chose. Je ne savais même pas que de
tels médicaments pouvaient exister. Un moment, je doutais même de la santé
mentale de mon ami.
Plus tard, je fis
des recherches sur internet pour découvrir que de tels traitements hormonaux
existent vraiment. Dans la semaine, j'allais voir Stéphanie, la tante
d'Antoine, et accessoirement mon médecin traitant. Prétextant une consultation
ordinaire, je lui demandais des explications sur le traitement qu'elle donnait
à mon ami. D'abord déstabilisée, elle me répondit sèchement que c'était elle,
le médecin, et qu'elle savait ce qu'elle faisait. Puis elle se reprit, et
commença à me donner des explications. Petit à petit, avec une démonstration
étayée de termes médicaux auxquels je ne comprenais pas grand-chose, elle
m'expliqua qu'Antoine avait besoin de ce traitement. Stéphanie m'expliqua que
c'était un traitement expérimental venu des Etats-Unis, où de nombreux garçons
trop agressifs avaient été calmés grâce à ces médicaments. J'osais timidement
répliquer:
"Mais Antoine
n'est pas agressif du tout!"
"C'est bien la
preuve que le traitement fonctionne!"
Elle ajouta pour me
rassurer que ce traitement pouvait être arrêté à tout moment sans laisser de
séquelles.
Complètement
chamboulé par les explications, qui me semblaient pourtant extravagantes, de
Stéphanie, je rentrais chez moi. J'étais incapable d'avoir une opinion claire
sur tout cela.
Arrivé chez moi, ma
mère me gronda sévèrement. Elle venait de recevoir un coup de téléphone de
Stéphanie. En criant, elle me dit de ne pas me mêler des affaires des autres.
Si un médecin, de plus membre de sa famille, donnait des médicaments à Antoine,
c'était forcément pour son bien.
Le lendemain, Antoine,
qui semblait bouleversé, me demanda lui aussi de "m'occuper de mes
affaires". Je compris à demi-mot qu'il avait été sévèrement puni après mon
intervention chez sa tante. En pleurant, il me demanda de le laisser
tranquille, de ne plus chercher à le revoir. Atterré, je promis ce qu'il me
demandait.
La fin de l'année
scolaire fut lugubre. Je m'efforçais de respecter la volonté de mon ami, et,
quand je le croisais, je changeais de direction. Heureusement, il ne restait
que quelques jours à passer au collège. Je passais avec succès le brevet.
Ensuite, je
m'efforçais de savourer mes vacances d'été avec ma petite amie Lucille.
Pourtant, celle-ci n'était pas dupe. Elle voyait bien que je pensais souvent à
Antoine, ce qui l'irritait particulièrement.
Enfin, ce fut la
rentrée. J'entrais au lycée, bien décidé à me construire un bel avenir.
Pendant une pause,
je reconnus parmi un groupe de filles Léa, la petite amie d'Antoine. Je m'approchais
d'elle et la saluais. Elle semblait ravie de me voir et me fit la bise, puis,
désignant la fille à sa droite, elle me demanda:
"Tu connais
Chloé?"
Je n'en crus pas
mes yeux en découvrant cette magnifique blonde aux yeux verts. C'était mon ami
Antoine! Léa prit Chloé par le bras, comme pour l'empêcher de prendre la fuite,
et me raconta à voix basse:
"Chloé a fait
son coming-out l'été
dernier. Elle vit en fille désormais! L'administration du lycée a accepté de
l'inscrire comme une vraie fille!"
Bouche-bée, je
regardais Chloé de la tête aux pieds. Ses cheveux blonds décolorés tombaient en
boucles sur ses épaules, son visage était délicatement maquillé. Comme une
élève modèle, elle portait un chemisier strict, avec un jabot en dentelles, et
une petite jupe noire qui lui arrivait à mi-cuisses. Ses jambes gainées de
collants fins semblaient interminables, allongées par des escarpins noirs à
talons hauts. Elle portait une pile de livres contre sa poitrine, dans une
posture typiquement féminine. Elle baissait les yeux.
Je la saluais,
assez froidement:
"Bonjour
Chloé, comment vas-tu?"
"Je vais bien,
merci."
Je croisai un bref
instant son regard, et j'y lus une profonde tristesse. Affligé, et me souvenant
de ma promesse, je m'éloignais:
"Bon, j'ai été
content de vous revoir… Il faut que j'y aille. Salut!"
Les jours suivants,
j'essayais de me concentrer sur mes cours, mais j'en étais incapable. Je ne
cessais de penser à Antoine, ou peut-être à Chloé?
Ma copine Lucille,
qui sentait bien que j'étais renfrogné, insista pour que je lui parle de mes
soucis. Quand je lui racontai ma rencontre avec Chloé, elle me fit une crise de
jalousie:
"Encore? Ma
parole, tu es amoureux! Tu en était déjà amoureux quand il se faisait appeler
Antoine!"
En entendant de
telles inepties, je me mis en colère. Ce fut ma dispute la plus violente avec
Lucille. Comment pouvait-elle penser de telles choses? Comment pouvais-je être
amoureux de mon copain d'enfance? C'était n'importe quoi!
C'était n'importe
quoi… Mais alors, pourquoi je ne cessais pas de penser à Chloé?
Quelques jours plus
tard, je profitais d'une rencontre fortuite avec Léa pour lui parler de Chloé:
"Tu as dit
l'autre jour que tu as assisté au coming-out de Chloé. Tu peux me le
raconter?"
"Oh oui,
c'était une sacrée fête! Au début de l'été, soi-disant pour célébrer notre
brevet, j'étais invitée chez Antoine avec les autres filles de notre petite
bande. Sa mère nous a accueilli, et nous a fait assoir au salon. Elle disait
que nous allions avoir une surprise. C'est alors qu'Antoine est entré avec sa
sœur qui le tenait par la main. Il était habillé en fille, avec une jolie robe
d'été fleurie et des sandales à talons. Il était maquillé, ses ongles étaient
vernis, il portait des bijoux… Sa mère dit qu'Antoine avait quelque chose à
nous annoncer."
"Et Antoine a
dit qu'il voulait devenir une fille?"
"Oui! Enfin
non! Le pauvre, il était tellement intimidé qu'il était incapable de dire un
mot. C'est sa sœur, Manon, qui nous a annoncé la nouvelle, et qui nous a dit
qu'on devait l'appeler Chloé!"
"Et tu n'as
pas été surprise? Tu étais la petite amie d'Antoine!"
"Oui, j'étais
sa petite amie… Enfin, on ne faisait que flirter. Deux ou trois fois, j'ai bien
essayé de faire l'amour avec lui, mais il a en été incapable. C'était évident
qu'il n'aimait pas les filles. Du coup, on a rompu, mais on est resté bonnes
amies!"
J'avais envie de
dire que l'impuissance d'Antoine était certainement provoquée par le traitement
qu'il était forcé de prendre par sa mère et sa tante. J'avais même envie de le
hurler, mais je me taisais. Léa continua à me parler de Chloé:
"Tu sais, sa
tante est médecin. Grâce à elle, Chloé peut bénéficier d'un traitement
hormonal. C'est compliqué d'y avoir droit. Encore plus quand on est mineur. On
ne le voit pas encore, mais Chloé commence à avoir des seins. J'étais avec elle
et sa mère quand elle a essayé son premier soutien-gorge. Elle était toute
émue, elle en pleurait, ça faisait chaud au cœur de la voir si heureuse!"
J'étais désolé de
voir à quel point Léa était enthousiaste en parlant de Chloé. Elle croyait
sincèrement à son bonheur. Je me contentais de répondre, d'un air désabusé:
"Alors tout va
bien, si Chloé est heureuse…"
"Bon, pour
être sincère, elle n'est pas totalement heureuse."
"Ah?"
"Oui, tu lui
manques. Elle parle tout le temps de toi!"
Bouleversé par
cette dernière information, je remerciais Léa et m'éloignais, la laissant
seule.
Les semaines
suivantes, j'évitais de croiser Chloé.
D'un côté, je me
sentais minable et impuissant de ne pas avoir pu l'aider à changer son destin.
Parfois, dans mes délires solitaires, je me voyais l'emporter loin de la folie
de sa famille sur mon destrier blanc. En revenant à la réalité, j'étais
d'autant plus frustré de n'être qu'un adolescent que personne ne prenait au
sérieux. J'étais certain que, même si je dénonçais sa mère pour maltraitance,
personne ne m'écouterait. Sans doute, Chloé elle-même m'en voudrait, parce que
je ferais ainsi du mal à toute sa famille.
En même temps, je
revoyais Chloé en songe. Elle était devenue si belle. Ma copine Lucille
avait-elle raison? Etais-je tombé amoureux? Si je souhaitais délivrer Chloé de
l'influence néfaste de sa famille, n'était-ce pas pour la garder pour moi seul?
En m'égarant dans
ces pensées, j'avais la sensation d'être devenu aussi monstrueux que sa mère!
Toutes ces idées en
conflit me torturaient l'esprit. Lucille se rendait compte que je n'allais pas
bien, mais quand elle essayait de me parler, cela se terminait invariablement
en dispute.
Ce n'est que
plusieurs mois plus tard que les choses changèrent brusquement. Il y avait une
grande fête au lycée peu avant les vacances de Noël. Presque tous les lycéens
étaient présents, y compris Chloé, dans une somptueuse robe rouge bordée de
fourrure blanche. Je l'observais discrètement d'un coin de la salle, où avec
quelques copains, nous buvions de l'alcool rapporté en cachette.
Une fois de plus je
me disputais avec Lucille, qui voulait danser tandis que je noyais ma mauvaise
humeur dans l'alcool. Fâchée, elle me laissa seul dans mon coin, ce qui me
convenait parfaitement. Je ne perdais pas des yeux Chloé, dont la robe
décolletée ne cachait rien de ses formes. Elle avait désormais de magnifiques
petits seins, et la manière dont elle bougeait ses fesses au rythme de la
musique m'émoustillait au plus haut point.
J'hésitais
longuement à aller lui parler. Finalement, je renonçais, j'avalais un dernier
verre et décidais de quitter la fête. Au moment de sortir, je jetais un dernier
regard vers Chloé, et je la vis aux prises avec deux garçons qui l'entrainaient
de force vers les toilettes. Dans la foule, personne ne semblait avoir remarqué
cette agression.
Soudain dessaoulé
par une poussée d'adrénaline, je courais vers les toilettes, bousculant de
nombreuses personnes sur mon passage. Arrivé dans les couloirs sombres des
sanitaires, je restai un instant désorienté, avant d'entendre la voix de Chloé
dans les toilettes des hommes. Je me précipitai à l'intérieur pour découvrir
une scène terrible. Chloé était maintenue à genoux par les deux types, sa robe
était en partie déchirée, faisant apparaitre sa poitrine. L'un des garçons
dégrafait son pantalon en disant:
"Alors c'est
vrai? Tu es un travelo? Il parait qu'il n'y a rien de meilleur qu'une pipe de
travelo. Suce-moi salope!"
Les deux gars
étaient plus âgés et plus grands que moi. Pourtant, je me jetai sur eux en
hurlant. J'envoyai un violent coup de poing à celui qui avait baissé son
pantalon, ce qui me fit horriblement mal à la main, mais qui ne sembla pas
l'affecter beaucoup. Je ne me souviens pas de la suite…
Je me réveillai à
l'hôpital. Les deux types m'avaient littéralement cassé la figure. J'allais
apprendre plus tard qu'ils avaient pris la fuite en me voyant à terre, sans
connaissance. A mon réveil, je sentais que quelqu'un me caressait la main.
C'était Chloé!
Malgré mon visage
tuméfié, je parvins à lui demander comment elle allait:
"Bien, je vais
bien. Ils n'ont pas eu le temps de me faire de mal… Grâce à toi!"
Avec mes yeux qui
s'habituaient progressivement à la lumière, je découvris que Lucille était là
elle aussi, ainsi que mes parents, et la mère de Chloé.
Lucille s'approcha,
elle échangea un long regard avec Chloé, puis m'embrassa:
"Je crois
qu'il vaut mieux que je vous laisse. Chloé et toi avez beaucoup de choses à
vous dire..."
Elle se redressa,
et quitta la pièce. Elle venait de rompre avec moi.
Sandrine se pencha
à mon oreille:
"Merci d'avoir
sauvé ma fille! Tu seras toujours le bienvenu à la maison!"
Elle quitta la
chambre à son tour, en entrainant mes parents, dans les yeux desquels je lisais
de la fierté. Je restais seul avec Chloé. Elle restait là, sans un mot, à me
caresser ma main abîmée. Elle resta à mes côtés jusqu'à l'heure de fermeture,
et revint dès le lendemain matin dès l'ouverture, et ainsi chaque jour jusqu'à
ma sortie de l'hôpital. Nous ne nous parlions pratiquement pas, nous ne
faisions qu'échanger des regards.
Ce n'est que le
troisième jour que je parvins à lui demander:
"Chloé, tu es
heureuse?"
"Oui, je suis
contente que tu ailles mieux."
"Non, ce n'est
pas ce que je voulais dire… Tu sais?"
"Oh oui, je
comprends. C'est difficile d'en parler… Disons que je m'y suis fait. Tout le
monde me voit comme une fille, alors autant en être une pour de bon…"
"Alors c'est
vraiment ce que tu veux?"
"Non, mais
pour l'instant, je n'ai pas vraiment le choix. Je me suis résignée à suivre ton
conseil."
"Quel
conseil?"
"Il y a
quelques mois, tu m'as dit que je devais avoir de la patience. Je vais attendre
d'avoir dix-huit ans, et je trouverais bien à ce moment-là un moyen… De changer
de vie!"
"J'espère que
je pourrais t'aider…"
"Merci, tu en as
déjà tellement fait pour moi, bien plus que tu ne l'imagines! Tu veux bien
qu'on soit amis de nouveau?"
"Il n'y a rien
que je désire plus… Tu verras, Chloé, euh, Antoine…"
"Chloé! Ce
sera moins compliqué."
"Oui, pardon,
Chloé. Tu verras, plus rien ne pourra nous séparer, maintenant!"
Je sortais de
l'hôpital pour Noël, que je fêtais en famille. Pour nouvel an, j'étais invité dans
la famille de Chloé. J'avais mis mon plus beau costume, que je n'avais porté
qu'une fois avant, avec une cravate. La mère de Chloé m'accueillit:
"On
n'attendait plus que toi!"
Je fus surpris de
découvrir que j'étais le seul garçon. Léa et sa bande de copines était
présentes elles aussi. Alors que je saluais tout le monde, Chloé sortit de la
cuisine avec un plateau, qu'elle posa sur la table avant de se tourner vers
moi. Elle était éblouissante. A chacun de ses gestes, sa petite robe d'un blanc
immaculé se soulevait avec légèreté. Elle se déplaçait avec grâce sur une paire
d'escarpins blancs à talons démesurément hauts.
Elle s'approcha,
hésita un bref instant, puis me fit la bise.
En la regardant, je
ne reconnaissais plus mon vieil ami Antoine. Il semblait avoir définitivement
disparu. La soirée fut agréable, même si je ne me sentais pas toujours très à
l'aise avec tant de filles et de femmes autour de moi.
Au moment des vœux,
je fis la bise à tout le monde, mais en me retrouvant face à Chloé, je restai
paralysé. Léa et ses copines nous encouragèrent joyeusement à nous embrasser.
Chloé se pencha et me fit la bise, mais Léa et ses copines chantaient:
"Un baiser, un
baiser, un baiser!"
Finalement, après
une nouvelle hésitation, Chloé me fit un petit sourire, puis se pencha vers
moi, la bouche en avant. Timidement, je posai un rapide et chaste baiser sur sa
bouche, déclenchant les applaudissements de tout le monde.
La fin de la soirée
fut heureusement plus calme.
Pendant les mois
suivants, Chloé et moi retrouvions notre vieille complicité. Nous passions tous
nos moments de liberté ensemble. Malgré le froid, elle portait uniquement des
jupes ou des robes. Elle m'expliqua qu'après son "coming-out", sa mère avait jeté tous
ses pantalons ou ses affaires unisexes.
Même quand elle
n'était pas maquillée, ce qui était rare, elle était magnifique. Quand je la
regardais, je ne voyais plus qu'une jeune femme que je désirais. Pourtant, je
n'arrivais pas à lui dire, sans doute parce que je me souvenais qu'elle avait
été mon copain Antoine. Souvent, nous nous tenions par la main, nous nous
faisions la bise pour nous saluer… Rien de plus!
Je restais ainsi
pendant des mois sans copine. Parfois, quand je rencontrais une fille qui
pouvait me plaire, je renonçais à tenter ma chance avec elle, sans doute parce
qu'inconsciemment, je la trouvais moins attirante que Chloé.
Parfois, le soir,
je me masturbais dans le secret de ma chambre. A chaque fois, après avoir joui,
je ressentais de la honte. J'avais honte de ne pas avoir d'autre moyen pour
atteindre le plaisir, mais surtout, j'avais honte de ne pas pouvoir m'empêcher
de penser à Chloé quand je me masturbais.
Ce n'est pas ce que
je pus voir le jour des seize ans de Chloé qui allait calmer mes fantasmes. Ce
jour-là, j'étais invité chez Léa, qui avait organisé la fête d'anniversaire.
Une fois de plus, j'étais le seul garçon présent. Mon statut de lycéen ne me
permettait pas de faire des folies. J'offris donc à Chloé une simple boîte de
chocolats.
Quand je vis les
autres cadeaux que reçut mon amie, je me sentis insignifiant avec mes
chocolats.
Les filles
s'étaient cotisées pour offrir à Chloé un somptueux ensemble de lingerie. Elles
insistèrent pour qu'elle l'essaye tout de suite. D'abord gênée, Chloé se retira
un instant dans la salle de bain avec Léa. Quand elle revint, elle portait une
guêpière en dentelle de couleur crème, avec la petite culotte assortie, et une
paire de bas couleur chair, fixés à deux paires de jarretelles. La guêpière
affinait sa silhouette et remontait ses seins. Je pus même distinguer un téton,
qui dépassait un peu de la dentelle. La petite culotte, bien serrée, cachait à
la perfection son véritable sexe. Les filles firent marcher Chloé sur ses
talons aiguille comme un mannequin, et la firent tourner sur elle-même
plusieurs fois. Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau et excitant, sauf dans
quelques revues spécialisées. Face à moi se tenait une image de l'idéal
féminin!
Pendant tout ce
temps, j'avais la sensation que, malgré son sourire de façade, Chloé était très
gênée de se montrer ainsi en petite tenue, surtout devant un garçon… Surtout
devant moi.
De mon côté, j'évitais
soigneusement de croiser le regard de Chloé, de peur qu'elle n'y lise le désir
intense que je ressentais à ce moment. Je n'osais plus bouger, de peur que tout
le monde voie l'érection qui déformait mon pantalon.
Plus tard, après la
fête, je raccompagnais Chloé chez elle. Heureusement, mon excitation était
retombée. J'aurais été très mal à l'aise si Chloé s'en était rendu compte.
Sur le chemin, je
demandais à mon amie comment elle se sentait. Après un silence, pendant lequel
elle semblait chercher ses mots, elle me confia avec une lucidité surprenante:
"C'est dingue,
il n'y a que toi à qui je peux parler de ça. Léa et les autres me voient uniquement
comme le pauvre garçon qui se sent fille, qui a choisi d'assumer pleinement sa
féminité, au point de se comporter comme une caricature de nana. Elles sont si
gentilles avec moi, elles disent qu'elles admirent mon courage, que je suis un
modèle pour elles. Je ne sais pas si tu as remarqué, elles copient mon look, ma
manière de m'habiller, ou de me coiffer… Mais même si elles se trompent sur
moi, sur mes sentiments ou mes désirs les plus profonds, elles sont mes amies.
Dans ma situation, je ne peux pas rêver avoir de meilleures amies… Leur
enthousiasme est quand même plus agréable que l'intolérance, les insultes, ou
même la violence que je subis parfois."
J'écoutais en
silence, mais quand elle parla de violence, je laissai échapper un soupir, me
souvenant de mon passage à l'hôpital. Elle continua:
"Je réfléchis
à tout ça depuis des mois. Ma mère aussi, à sa manière, m'aime. Elle ne veut
que mon bien. Elle est persuadée que ma vie serait plus simple, ou plus belle,
si j'étais une fille. Du coup, elle pense me rendre service en m'obligeant à vivre en fille, et elle est
soutenue dans cette idée par ma tante Stéphanie… Quand on y pense, beaucoup de
parents obligent leurs enfants à faire des choses qu'ils croient bons pour eux.
Ils leur dictent leurs goûts, leurs loisirs, leurs opinions, leur religion…
"
"Ouais, mais
ils n'en arrivent pas à donner à leur enfant un traitement pour changer leur
corps…"
"Si, ça arrive
parfois. Tante Stéphanie m'a expliqué qu'il existe des tas d'exemples où ce
genre de choses se produisent, et qu'il y a même parfois des abus. Vitamines,
vaccins, hormones de croissance, tante Stéphanie m'a fait voir de nombreux
exemples. Elle est médecin, elle sait de quoi elle parle."
"Donc, tu lui
fais confiance?"
Chloé s'arrêta un
instant, elle semblait réfléchir, puis elle m'enlaça:
"J'ai
confiance en toi."
Profondément touché
par ce qu'elle me disait, je la serrais fort:
"Je ne te
laisserais pas tomber."
Au même moment,
j'avais envie de l'embrasser, de lui avouer mes désirs… Mais je sentais bien
qu'en faisant cela, je perdrais sa confiance.
Les mois suivants
furent compliqués à gérer pour moi. Je m'efforçais sans grand succès de me
concentrer sur mes études. Je ne cessais de penser à Chloé. Quand je la voyais,
j'essayais de me souvenir qu'elle était mon copain d'enfance Antoine, et non
cette splendide jeune fille qui me montrait régulièrement qu'elle aimait être
avec moi.
Ce n'est qu'au printemps
que les choses changèrent soudainement entre Chloé et moi. Nous profitions du
beau temps pour prendre un verre en terrasse avec Léa, qui nous présentait
Quentin, son nouveau petit copain. Comme toujours, Léa était très enthousiaste
et pleine d'énergie. Elle nous racontait, avec énormément de détails qui
semblaient gêner son petit ami, leur première rencontre.
A un moment, sans
doute pour tenter de changer de sujet, Quentin nous demanda à Chloé et à moi,
si nous étions ensemble depuis longtemps. Léa ne nous laissa pas le temps de nier:
"Oui, ils sont
ensemble depuis tout petits! Ils forment un joli couple, tu ne trouves
pas?"
J'essayais d'intervenir
tandis que Chloé rougissait. Mais Léa continua, en parlant de plus en plus
fort:
"Ils s'aiment
à la folie depuis des années, tout le monde est au courant… Sauf eux!
Je rougissais et
baissais les yeux à mon tour, je jetai un regard furtif vers Chloé, qui fit de
même, puis se précipita sur son verre, l'avala d'un trait, en manquant de
s'étrangler.
Ce n'est que plus
tard, alors que je venais de raccompagner Chloé devant chez elle, qu'elle osa
timidement me poser la question:
"C'est vrai?
Ce que Léa a dit à propos de nous?"
"Euh, je… Je crois…
"
Le moment que
j'avais tant espéré, et tant redouté, était arrivé. Elle m'enlaça et rapprocha
doucement son visage du mien. Elle me regardait dans les yeux avec une
intensité que je ne lui connaissais pas. Pendant une fraction de seconde, je me
demandais si je ne devais pas partir en courant, mais quand elle ferma ses
yeux, je ne pus que poser mes lèvres sur les siennes, puis rapidement, chercher
sa langue avec la mienne. Ce premier baiser fut pour moi une explosion de
sentiments, un instant de bonheur indescriptible.
Très vite, Chloé me
prit par la main et m'entraina à l'intérieur, vers sa chambre. A peine entrés,
elle m'embrassait et me caressait en déboutonnant ma chemise. Je faisais de
même, posant pour la première fois mes mains sur sa petite, mais ravissante
poitrine. Ses seins étaient d'une sensibilité rare, car elle se mit à gémir dès
le premier contact. Rapidement, nous étions tous les deux nus, et Chloé,
prenant les choses en main, si je puis dire, se tourna et me présenta ses
fesses. Je la caressais longuement, sans oser aller plus loin. Je craignais de
lui faire mal, mais en se cambrant de manière très suggestive, elle me fit
comprendre de ne pas hésiter. Je me mis en position, et doucement, je
commençais à la pénétrer. Ensuite, je commençais un lent va-et-vient qui
faisait gémir Chloé à chaque passage. Progressivement, j'accélérais le
mouvement, tandis que Chloé se crispait, la tête dans son oreiller, et, peu
après, je jouissais dans ses entrailles.
Nous restâmes un
moment sans bouger, puis Chloé se redressa, se tourna vers moi, et recommença à
m'embrasser. Elle prit sur sa table de nuit un mouchoir en papier pour
m'essuyer mon sexe quelque peu souillé. Le contact de ses doigts suffit à
m'exciter à nouveau. Je poussai délicatement Chloé en arrière pour la faire
s'allonger sur le dos. Je pris ensuite ses jambes et les posai sur mes épaules.
Puis, soulevant ses fesses pour les amener à la bonne hauteur, je le pénétrai à
nouveau, mais cette fois, sans ménagement. Quand je m'inclinai en avant pour
prendre sa bouche pendant que j'allais et venais en elle, elle se retrouva
pliée en deux. Je la possédais complètement, et mettais ainsi fin à des mois de
frustration.
Le lendemain matin,
c'est la mère de Chloé qui nous réveilla en entrant dans la chambre. Elle
portait un plateau avec deux bols de café, du lait, du jus d'orange et des
croissants, qu'elle posa au bord du lit. Elle ne sembla pas surprise de me
trouver là. Comme pour répondre à la question que je n'osais pas poser, elle
dit avec un grand sourire:
"Je vous ai vu
rentrer hier soir, et je vous ai entendu, cette nuit."
Je crois que ma
gêne à cet instant était évidente, elle ajouta, en tendant à Chloé ses pilules
d'hormones:
"Je préfère
que ce soit toi plutôt qu'un autre. Tu as toujours été le meilleur ami de
Chloé. Elle te fait confiance, et moi aussi!"
"Merci
madame."
"Appelle-moi
Sandrine! Après-tout, tu fais partie de la famille!"
Puis, après avoir
surveillé du coin de l'œil que Chloé avalait bien ses pilules, elle nous laissa
seuls.
Pendant le petit
déjeuner, je découvrais la chambre, que je n'avais pas eu le loisir d'observer
jusque-là. Ce n'était plus la chambre de petit garçon que j'avais connue
quelques années auparavant. C'était l'ancienne chambre de Manon, qui avait
quitté la maison quelques mois auparavant. Le lit à baldaquin sur lequel nous
avions dormi était immense. Un coin bureau avec quelques étagères montrait
qu'une lycéenne habitait bien là, mais le reste de la pièce évoquait plutôt une
chambre de princesse. Non loin du lit, une coiffeuse était couverte de produits
de beauté de toutes sortes. Deux portes garnies d'immenses miroirs fermaient un
gigantesque dressing. L'épaisse moquette qui couvrait le sol était une
invitation à se rouler par terre. Toute la décoration était coordonnée en un
savant choix de couleurs pastelles.
Après une douche
prise à deux, et agrémentée de baisers et de caresses, j'assistais en
spectateur comblé à l'habillage de ma petite amie. Quand elle ouvrit son
dressing, je vis qu'il était presque aussi étendu que la chambre. Prenant
plaisir à m'exciter, Chloé fit devant moi plusieurs essayages de lingeries. Je
devenais fou en la regardant remonter lentement ses bas le long de ses jambes,
ou quand elle se baissait en cambrant exagérément ses fesses pour ramasser une
petite culotte.
La suite, fut, elle
aussi, tout un spectacle. Chloé me montra plusieurs looks, me demandant lequel
était mon préféré. Entre la tenue de collégienne, avec des couettes et la
mini-jupe plissée, ou la tenue de secrétaire, avec le tailleur strict, et le
regard coquin derrière une grosse paire de lunettes, j'étais incapable de dire
ce qui m'excitait le plus.
Est-il nécessaire
de préciser qu'elle ne parvint pas tout de suite à finir de s'habiller?
Plus tard, alors
qu'elle se maquillait, j'explorais l'intérieur de son dressing. J'étais
impressionné par la quantité de vêtements assemblés là. J'avais entrepris
d'essayer de compter les paires de chaussures quand Chloé me fit signe qu'elle
était prête pour sortir. J'en étais arrivé à quarante-trois paires, et je n'en
étais pas à la moitié!
Quelques jours
après cette première nuit, au cours d'une conversation par ailleurs banale,
j'osais demander à Chloé comment elle avait pu me montrer tant d'assurance la
première fois. Je lui demandais si elle n'avait pas eu peur que je lui fasse
mal. Je fus abasourdi de l'entendre me répondre qu'elle s'était entrainée!
Avec un sourire
coquin, elle me montra ce qu'elle cachait dans l'un des tiroirs de sa table de
nuit. A l'intérieur, il y avait plusieurs godemichés et vibromasseurs! Devant
ma surprise, elle m'expliqua:
"Avec mon
traitement aux hormones, je suis incapable de faire quoi que ce soit avec mon
sexe de garçon. Tante Stéphanie m'a expliqué que je pouvais avoir du plaisir
autrement, par un massage de la prostate, et elle m'a offert ces différents
gadgets… D'abord, je n'ai pas osé, et puis par curiosité, j'ai essayé, et
effectivement, j'ai commencé à y prendre du plaisir. Par la suite, je me suis
demandé comment ce serait avec un homme, un vrai… J'ai tout de suite pensé à
toi, sans oser franchir le pas…"
"C'est comme
moi, ça faisait longtemps que j'avais envie de…"
Un profond baiser
m'empêcha d'en dire plus.
Les semaines
suivantes, notre complicité ne fit que s'accentuer. Un soir, Chloé me fit
m'assoir sur le lit et me demanda de la laisser faire. Elle déboutonna mon
pantalon, et sortit mon sexe, qui se redressait déjà. Elle me fit un clin
d'œil:
"Il y a
longtemps que je me demande l'effet que ça fait!"
Puis elle se pencha
et commença à prendre mon sexe en bouche pour la première fois. Même si j'en
rêvais, je n'aurais jamais osé lui demander de me faire une fellation. D'abord
maladroitement, elle commença à aller et venir le long de mon membre, puis,
prenant de l'assurance, elle parvint à me faire éjaculer au fond de sa gorge,
puis sur son visage et sa poitrine. C'était un cadeau exceptionnel qu'elle
venait de me faire.
Les semaines, les
mois, et toute l'année qui suivirent ne furent pour moi que du bonheur. Je
passais plus de temps chez Chloé que chez moi, au point que mes parents
devaient quasiment prendre rendez-vous avec moi pour me voir.
J'aimais Chloé, et
elle m'aimait. Elle me disait que je la rendais heureuse, même si, parfois,
elle avait un petit accès de déprime. Dans ces moments, c'était toujours la
même chose. Elle pleurait dans mes bras, disant qu'elle était un garçon, qu'elle
aurait voulu être un homme. Elle disait qu'elle en avait assez de jouer le rôle
de la jolie fille coquette. A chaque fois, mon argumentation était la même:
"Patience,
bientôt, nous aurons dix-huit ans. Nous pourrons partir, loin, et commencer une
nouvelle vie. Fais-moi confiance."
Heureusement, elle
se ressaisissait vite et redevenait ma si parfaite et souriante petite amie.
Enfin, le jour de
ses dix-huit ans, quand sa mère annonça devant tout le monde notre prochain
voyage en Thaïlande pour son opération, Chloé s'effondra de chagrin. Sous les
applaudissements de tous ceux qui prenaient ses larmes pour des larmes de
bonheur, je l'accompagnais jusqu'à sa chambre.
Stéphanie vint nous
rejoindre, et donna un calmant à sa nièce, avant de nous laisser seuls. Chloé
se blottit dans mes bras, comme elle l'avait fait si souvent. Je savais qu'elle
attendait que je lui dise que le moment tant attendu était arrivé. Nous avions
dix-huit ans, et nous allions pouvoir nous sauver…
Comme je l'avais
fait si souvent, je lui caressais les cheveux en lui parlant doucement de ce
que nous allions faire:
"Chloé, n'ai
pas peur, je suis là. Je resterais près de toi, et nous surmonterons cette
épreuve ensemble."
"Merci…"
"Oui, je vais
venir avec toi en Thaïlande, et je serais à tes côtés jusqu'au bout. Je veux
être avec toi quand tu seras enfin une vraie femme!"
A ces mots, Chloé
me repoussa violemment:
"Quoi? Je
croyais que tu allais m'aider à me sauver!"
"Te sauver?
Pour aller où? Tu veux quitter tous ces gens qui t'aiment? Et pour trouver
quoi, à la place?"
Je lus le désespoir
dans ses yeux. Elle me tourna le dos, le visage dans ses mains. Elle
sanglotait:
"J'avais
confiance en toi… "
"Chloé, je
t'aime! Tu peux me faire confiance. Je ne te quitterais jamais! Si tu veux, on
pourra même se marier, après!"
"Tu dis que tu
m'aimes… Comme ma mère ou ma tante!"
Je poussais
délicatement Chloé jusqu'à un miroir.
"Chloé,
fais-toi une raison. Regarde-toi! Tu es une femme, et une très belle femme! Tu
vis en fille depuis si longtemps que tu ne saurais plus vivre autrement. Autant
assumer et aller jusqu'au bout!"
Pendant un long
moment, elle resta sans réaction, elle sanglotait doucement sans dire un mot.
Je restais là, derrière elle, mes mains posées sur ses épaules.
J'imagine que le
calmant commençait à faire de l'effet. Elle se retourna doucement et me regarda
dans les yeux. Je lisais dans son regard un profond désespoir, et en même
temps, elle souriait:
"Tu sais? Tu
as raison! Si déjà j'en suis arrivée là, autant aller jusqu'au bout. Allons-y!
Allons en Thaïlande! Il faut en finir!"
Elle me faisait ce
même sourire qu'elle faisait continuellement à sa mère ou à sa tante. Je la
connaissais par cœur. Je savais que ce sourire était un mensonge.
Je l'avais trahie…
……………..
Aujourd'hui, dans
l'avion, quand j'y repense, je ne regrette rien. Chloé me pardonnera, et nous
serons heureux.
Bientôt elle sera
définitivement une vraie femme, et je lui ferais l'amour, comme à une vraie
femme.
Je me tourne vers
elle. Elle dort. Elle est si belle…
……………..
Notre avion s'est enfin
posé à Bangkok. Nous nous installons à l'hôtel, puis nous nous rendons à
l'hôpital. Nous rencontrons le chirurgien qui va se charger de l'opération. Je
ne comprends pas tout ce qui se dit, je maîtrise mal l'anglais, et il parle
avec un terrible accent thaï. Heureusement, Stéphanie, qui parle plusieurs
langues, se charge de parler avec le docteur. Sa présence est d'autant plus
précieuse que c'est elle qui a supervisé l'ensemble du traitement hormonal de
son neveu, destiné à devenir sa nièce.
Chloé passe de
nombreux tests pendant plusieurs jours. Je reste avec elle autant que possible.
Elle semble terrorisée, mais subit stoïquement toutes les analyses.
Enfin, le grand
jour est arrivé. Chloé va être opérée. Sa mère, sa tante et moi sommes avec
elle dans sa chambre. Une infirmière prépare un cocktail de médicaments dans un
gobelet en plastique et le tend à Chloé avant de sortir de la chambre.
Stéphanie explique:
"Chloé, c'est
un somnifère et un calmant. Quand tu auras avalé ça, tu t'endormiras en
douceur. Plus tard, quand tu seras bien endormie, le chirurgien et son équipe
viendront te chercher pour t'emmener en salle d'opération. Demain, quand tu te
réveilleras, tu seras une vraie femme!"
Chloé tremble, elle
est nerveuse. Sa mère l'embrasse et quitte la chambre avec sa tante. Je reste
seul avec elle. J'aimerais être plus utile, mais ému, je parviens seulement à
murmurer quelques banalités:
"Bon, le
moment est arrivé…"
"Oui, je
suppose. Merci d'être là, avec moi."
"Je te l'ai
promis il y a longtemps, je ne te laisserais jamais tomber!"
"Oui, tu m'as
fait une promesse il y a longtemps…"
Elle reste un
moment silencieuse, sans bouger, à regarder le contenu de son gobelet qu'elle
ne semble pas pressée d'avaler.
Soudain, elle se
redresse, elle me fait un sourire, et me demande si j'ai soif. Elle se tourne
vers la table de nuit, où il y a une carafe d'eau et d'autres gobelets. Elle me
sert un gobelet d'eau et me le tend:
"Bon, à la
tienne!"
"A la tienne,
Chloé!"
Nous trinquons,
puis vidons nos gobelets d'un trait, et nous continuons à parler en attendant
que le somnifère fasse effet…
……………..
Je viens de me réveiller.
Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je reconnais autour de moi la chambre
d'hôpital. Je me sens vaseux, comme un lendemain de cuite. J'ai l'impression
que j'ai été drogué.
Une infirmière est
penchée sur moi et me parle. Je ne comprends rien, elle me parle en thaï. Après
une phrase dont le ton semble m'indiquer de ne pas bouger, elle quitte la
chambre en courant. J'essaye de me redresser, mais j'en suis incapable. Je suis
trop faible, et mon corps me fait mal à chaque fois que je tente de bouger. J'ai
l'impression d'être passé dans une machine à laver en mode essorage.
Enfin, j'entends
quelqu'un arriver. L'infirmière est allée chercher le docteur. Ils sont
accompagnés de Sandrine, en pleurs, et de Stéphanie. Le médecin a l'air
complètement affolé, il transpire beaucoup. Il ne cesse de s'incliner à la
manière asiatique, et de répéter:
"Sorry, sorry!"
Il me parle en
anglais avec son terrible accent thaï. Je ne comprends rien, et j'ai mal à la
tête.
Sandrine est
ressortie de la chambre, semblant totalement bouleversée. Stéphanie me prend la
main, elle est la seule qui semble se maîtriser. L'expression de son visage montre
qu'elle doit m'annoncer quelque chose de terrible. Après un instant qui me
semble une éternité, elle parvient à me dire:
"Chloé est
partie, elle a fugué… Elle a laissé un mot pour dire qu'elle nous aime tous,
toi aussi, et qu'elle est désolée de ne pas être celle que l'on voulait qu'elle
soit."
Stéphanie reste
silencieuse un long moment, avant de poursuivre:
"Il semble que
Chloé voulait être sûre d'avoir le temps de disparaitre. Elle voulait gagner du
temps…"
Je lutte contre la
douleur et mon esprit embrumé. J'essaye de comprendre ce qu'elle cherche à me
dire. Elle continue:
"Je crois que Chloé
t'a fait boire le somnifère qui lui était destiné. Quand tu t'es endormi, elle
t'a déshabillé et s'est déguisée avec tes vêtements. Ensuite, elle t'a allongé
à sa place dans son lit avant de se sauver… Je suppose qu'elle espérait
qu'ainsi, on remarquerait son départ le plus tard possible."
Je me souviens du
moment où Chloé m'a tendu le gobelet d'eau. Elle a, l'espace d'un instant
attiré mon attention vers la fenêtre derrière moi. J'imagine que c'est à ce
moment qu'elle a échangé son gobelet avec le mien. Je demande:
"C'est un
somnifère qui m'a mis dans cet état? Oh, je ne me sens vraiment pas bien…"
"Non, ce n'est
pas le somnifère. Quand les infirmiers sont venus chercher Chloé, ils ne se
sont pas rendu compte qu'une autre personne était à sa place. Après, quand le
chirurgien et les infirmières qui connaissaient Chloé sont entrés dans la salle
d'opération, ton visage était déjà caché par le masque à oxygène."
"Qu'est-ce que
vous essayez de me dire…"
"C'est une
terrible erreur, mais ils t'ont opéré à la place de Chloé."
A ces mots, malgré
la douleur intense, je trouve soudain l'énergie pour me redresser. Je découvre
avec horreur mon entre-jambe pansée, avec plusieurs tuyaux qui en sortent!
"Non, non, ce
n'est pas possible! Il faut rectifier ça! Il faut me réopérer!"
"C'est
impossible, c'est irréversible. Je suis désolée, mais tu possèdes maintenant un
sexe de femme… Pour toujours!"
Je retombe en
arrière, complètement désespéré. Stéphanie serre fortement ma main. Avec un ton
calme, presque clinique, elle me dit:
"Courage! Tout
ira bien… Bon, c'est vrai qu'avec la perte de tes testicules, tu vas devoir
prendre un traitement hormonal à vie. Comme tu n'es plus vraiment un homme, je
suggère plutôt de choisir un traitement d'hormones féminines. Tu finiras par
t'y faire, je t'aiderais… Je te montrerais que ta vie pourra être très
agréable, tu apprendras à aimer… être une femme!"
Petit Pierre
Wow ! quelle histoire ! Je ne m'attendais pas à une telle fin. C'est bien écrit et surtout très original.
RépondreSupprimerMerci Frenchie, pour tous vos commentaires. Je suis d'autant plus sensible à ce commentaire sur une histoire que j'ai imaginé!!! Merci!
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